Warhol

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Warhol

Dans ses Downtown Diaries — très beau livre (1) , âpre exposé de son quotidien dans l’underground new-yorkais du début des années 1970, qui constitue comme une suite du célèbre Basketball Diaries —, le poète Jim Carroll (1949-2009) raconte ainsi son passage à la Factory, l’atelier de Warhol : « Je crois avoir compris comment tout ce beau monde fonctionne. Ce n’est qu’une question de surface, et tout glisse dessus. Comme la pluie sur un toit en tôle ondulée ou l’air entourant les ballons à l’hélium d’Andy […]. Même l’ennui n’a aucune profondeur ici ; c’est une impression qui s’impose mollement à tous. Les rouages sont si bien huilés à force d’artifices et d’idioties sans importance que tout est aussi fin que du papier à cigarette. » Le tableau est fin et sévère, et il confirme subrepticement l’un des visages de Warhol, et non le moins captivant, qu’offre à contempler la passionnante biographie que l’auteur américain Victor Bockris a consacrée au pape du pop art : un Warhol saturnien, en proie au long ennui qui fut peut-être en partie le moteur de sa créativité, mais devint aussi au fil des ans une entrave, une servitude — « Intérieurement, Andy n’est pas en colère, il est juste seul et il s’ennuie. C’est le pire destin qui existe. C’est arrivé à Andy parce qu’il s’est coupé de ses sentiments et de son intelligence », témoigne, pour Bockris, l’artiste Victor Hugo, qui fut l’un des proches de Warhol.

L’ouvrage de Bockris n’est pourtant pas un livre à thèse, ni une étude relevant de la critique d’art, mais un travail biographique d’une formidable minutie dans lequel l’auteur parvient à concilier une forme évidente d’empathie (il fut un familier de la Factory, collaborateur du magazine Interview), la distance garante de l’honnêteté de son enquête et un vrai souffle narratif. C’est en donnant le plus largement possible la parole à ceux qui l’ont connu et côtoyé — ses frères et neveux, ses assistants et ses acolytes de la Factory, ses amis de l’underground artistique… — que Bockris embrasse l’existence de Warhol, l’ancrant dans un tableau d’époque fourmillant de détails et laissant surgir les périodes clés qui articulent sa trajectoire personnelle et esthétique : l’enfance à Pitts­burg, l’arrivée à New York en 1949, le passage par la publicité, le choix du pop art (« Il va y avoir un nouveau mouvement, un nouveau type de personnes va émerger, et vous pouvez en être l’incarnation », répétait-il à ses amis au début des années 1960), les premières sérigraphies (2) … Jusqu’à l’avènement d’un Warhol tout ensemble icône et prophète, métamorphose fascinante et mortifère d’un artiste qui fut « le meilleur […] de sa génération », estimait Mapplethorpe, ajoutant : « Son oeuvre demeurera, comme peu de gens s’y attendent. » — Nathalie Crom

 

(1) Ed. Inculte.

(2) Lire Warhol unlimited, le pertinent catalogue de l’exposition du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 432 p., 44,90 €.

 

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson, éd. Globe, 590 p., 29 €.

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