Ce qu’écrire veut dire. Ce qui se passe dans la tête d’un écrivain amoureux des mots, incapable de s’en passer, obsédé à l’idée de les retrouver, de jouer avec eux, de les faire jouir ou rendre âme, de les désosser ou de les sculpter. De les manipuler, aussi, pour mieux manipuler le lecteur. Anne Serre raconte son art avec une fantaisie, une légèreté sans pareil. Une joie. De livre en livre, elle explore pourtant jusqu’à la cruauté — et la crudité — les labyrinthes de la création littéraire. Mais avec toujours l’élégance de s’en amuser, et de nous en amuser. De nous mentir aussi parfois… C’est à une rencontre d’auteurs où on l’a invitée à participer à Montauban qu’elle nous convie ici. Avec elle-même, Anne Serre. Et via tous les plaisirs et les agacements, les orgueils et les inquiétudes que peut réveiller pareil exercice chez leurs participants. Pour parer à l’angoisse, ne va-t-elle pas ainsi jusqu’à s’imaginer que l’accompagne — et l’assiste — dans le train un de ses écrivains préférés, le Catalan Enrique Vila-Matas ? Et cet authentique et bien vivant confrère, maître en jeux d’écriture et effets de miroir, va peu à peu, mystérieusement, s’insérer dans le texte, en devenir le narrateur, voire le détective. Mises en abyme et en illusion… Anne Serre, qui célèbre ici encore Kafka, Walser ou Thomas Bernhard entre les lignes, réussit en quelques pages futées et érudites non seulement une ode ironique à la fiction mais des aveux feutrés, pudiques et étrangement mélancoliques sur ce que l’écriture met en jeu, en soi, derrière la façade sociale de l’écrivain. « Savent-ils, me disais-je, que c’est le chagrin qui fait tout ? » — Fabienne Pascaud
Ed. Mercure de France, 145 p., 14,80 €.
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