Voix de la nuit

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Voix de la nuit

Il s’emballe, il martèle qu’il faut « s’emparer de l’intérieur en s’attaquant à la voix ». Il croit à la voix du sang, à la langue comme reflet intangible de l’âme allemande et, pour atteindre la pureté aryenne, il ne faut « pas craindre, assène-t-il, les interventions médicales, les modifications de l’appareil articulatoire ». Avec cette conférence dans l’Allemagne en guerre, Hermann Karnau, anonyme « petite main » du régime, mais acousticien émérite et collectionneur obsessionnel des moindres sons de la vie, voit son destin basculer. Son improbable théorie va le propulser vers les plus hautes sphères nazies, jusqu’au crépusculaire finale, en avril 1945, dans le bunker de Hitler…

Pour cette fiction (1) , la critique avait, en son temps, encensé un jeune auteur allemand, Marcel Beyer, pour son approche inédite du nazisme, entre réalisme et métaphore. L’impressionnante adaptation d’Ulli Lust (près de quatre cents pages) joue à fond sur l’idée-force du roman : faire entendre deux voix en écho, celle de Karnau, aimable compagnon mais comme insensibilisé aux horreurs qui se trament, et celle de Helga, l’aînée des six enfants de Goebbels, adolescente aux aguets, qui pressent que son petit monde calfeutré est en train de sombrer.

C’est à travers ce récit branché sur courant alternatif, d’une intensité sourde, que la dessinatrice autrichienne restitue le foisonnement de signes, banals ou hallucinants, d’une horreur programmée. Tout est dit dans une formidable séquence de trente-six pages (le chapitre 3) : Ulli Lust y télescope un meeting électrisé par le verbe véhément de Goebbels, et l’expérience atroce sur un cobaye livré vivant au scalpel, et au micro d’Hermann Karnau. Dans un montage éruptif, elle met à nu le ressort ultime de la tragédie : un irréversible effondrement des consciences.

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