Veronica

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Veronica

« Une longue mèche de cheveux s’était échappée pour retomber sur son visage. D’une main, elle l’avait relevée pour l’emprisonner derrière son oreille, mais ses cheveux semblaient doués d’une vie autonome, jaillissant encore, une rivière dévorant son petit visage… » Une mèche de cheveux blonds soudain ­voilant à demi son visage de poupée, et une star était née : Veronica, 18 ans à peine, drapée d’une robe de satin blanc, « une peau de rêve et de ­lumière qui pouvait s’évaporer à tout moment, se dissiper comme le mirage qu’elle était devenue ». Vingt ans, quel­ques films et quelques amours viciées plus tard, le corps sans vie de Vero­nica fut retrouvé dans une chambre d’hôtel, sur un ­tapis de pétales d’orchidées, un cahier à ses côtés dans lequel elle avait consigné quelques épisodes de sa triste vie de star — comme un chapitre arraché à Hollywood Babylone, la captivante et scabreuse plongée dans l’envers du ­décor de la Cité des anges signée Kenneth Anger.

Ainsi s’ouvre Veronica, le roman de Nelly Kaprièlian : soixante pages d’une envoûtante âpreté, racontant l’existence désastreuse d’une femme broyée par la sadique machine à rêves hollywoodienne, anéantie par un besoin d’être aimée qui la voua au supplice sans fin des liaisons calamiteuses. Une actrice à peu près oubliée, jusqu’au jour où ressurgit une poignée de ses cendres, mises aux enchères à L.A. L’occasion, pour une journaliste française dépêchée sur place, de se pencher sur le cas Veronica, de tenter d’en résoudre l’énigme — car énigme il y a, nourrie par les aveux de l’actrice dont le testament confessait, outre la détresse, plusieurs assassinats de femmes.

Au L.A. d’aujourd’hui se superpose la ville des années 1940-1950, pour constituer le décor crépusculaire de cette enquête en forme de roman noir rocambolesque et râpeux, placé sous les auspices de Chandler, derrière lequel se déchiffre, comme par un effet de palimpseste, un roman initiatique non moins rugueux dont la journaliste est la narratrice malmenée. Et qui convoque, lui, d’autres références — les fantasmes anxieux d’un Lynch, les métaphores agissantes du symbolisme, les sortilèges élégants du romantisme fissurant la paroi entre le réel et le songe… Conjuguant ces effets, Nelly Kaprièlian trouve une voix qui n’est qu’à elle, pour continuer de sculpter les thèmes déjà centraux du Manteau de Greta Garbo (2014, en poche chez J’ai Lu), son premier roman : la féminité, le double, l’identité, le regard et l’illusion — « Que voit-on quand on voit ? » est le mantra de Veronica. — Nathalie Crom

 

Ed. Grasset, 224 p., 18 €.

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