Vernon Subutex 2

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Vernon Subutex 2

« Souviens-toi, Vernon, on entrait dans le rock comme on entre dans une cathédrale, et c’était un vaisseau spatial, cette histoire. Il y avait des saints partout, on ne savait plus devant lequel s’agenouiller pour prier. […] C’était une guerre qu’on faisait. Contre la tiédeur. On inventait la vie qu’on voulait avoir et aucun rabat-joie n’était là pour nous prévenir qu’à la fin on renoncerait… » Il se souvient de tout, Vernon Subutex, il n’a rien oublié, au contraire, de cette « jeunesse au galop », rien renié de ce temps révolu d’il y a vingt, bientôt trente ans, et des rêves de sa génération. Il n’a rien oublié, Vernon, mais c’est le monde qui a changé autour de lui — le monde devenu radicalement méconnaissable, invivable pour l’inaltérable enfant du rock, désormais quadragénaire. Vernon Subutex, homme sans qualités, du moins privé de celles qui lui permettraient de survivre dans le monde tel qu’il est désormais. Homme sans cynisme, sans convoitise, sans allégeance, autant dire inadapté, mais aussi séditieux malgré lui, à la dérive dans le Paris d’aujourd’hui où Virginie Despentes l’a projeté comme une sonde, traversant l’espace tant géographique que social pour l’inventorier, le mettre à la question.

Cristallisée sur le personnage de Vernon Subutex, l’ancien disquaire devenu SDF, entouré des fantômes de ses amis de jeunesse aujourd’hui disparus, la mélancolie est sans conteste l’une des couleurs de Vernon Subutex, la trilogie romanesque dont Virginie Despentes a donné le premier volet en janvier (1) et dont voici le deuxième opus. Mais du seul désenchantement on ne fait pas une arme de guerre, or Vernon Subutex est bel et bien un livre de combat. Un roman porté tout à la fois par une capacité d’indignation inentamée et une empathie époustouflante — et tout sauf aimable ou complaisante —, une faculté d’identification et de compréhension qui permet à l’écrivain de s’immiscer en profondeur dans chacun des multiples person­nages de sa fresque, d’en faire surgir les raisonnements, les égoïsmes, les rancoeurs, les désarrois, les défaites et d’en faire résonner les voix intérieures avec une infinie justesse.

Ils ont 20, 40, 70 ans, ils sont retraités, SDF, salariés plus ou moins précaires, les uns plutôt marginaux, les autres tant bien que mal intégrés dans l’ordre économique et social tel qu’il fonctionne — et dysfonctionne, surtout, malmène et brutalise les individus… Ils sont une quinzaine, dont pour la plupart on avait fait connaissance dans le premier volume. Les revoici, assemblée hétérogène d’individus dispersés à tous les horizons de la sphère sociale mais physiquement réunis, comme agglomérés autour de Vernon Subutex. Subutex toujours à la rue (pour mieux dire, au parc des Buttes-Chaumont, où « sa place favorite [est] le creux que forment les racines du plus vieux marronnier » du jardin public), mais qui apprivoise cette situation, semble s’y couler, s’y dilater — « la vérité, c’est qu’il ne supportait plus, physiquement, ni les murs ni le plafond, il respirait mal, les objets l’agressaient, une vibration nocive le harcelait… » — et agir sur ceux qui l’approchent comme un aimant, le catalyseur d’une douce dissidence contre l’ordre brutal des choses.

Il faudra attendre l’ultime volet de la trilogie pour connaître la destinée que Virginie Despentes réserve à cette improbable faction. D’ores et déjà, dans ce Vernon Subutex 2, ce qui captive, ce qu’on admire, c’est l’acuité avec laquelle l’écrivaine se saisit de la réalité contemporaine, la netteté de son regard sur notre société et des mots qu’elle trouve pour la décrire, l’inflexible désaveu qu’elle oppose à ses règles et ses dogmes pervers. — Nathalie Crom

 

(1) Sur Vernon Subutex 1, qui vient de recevoir le prix de La Coupole, lire notre entretien avec Virginie Despentes dans Télérama n° 3391.

 

Ed. Grasset, 384 p., 19,90 €.

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