Veracruz

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Veracruz

A la source de nombre de livres d'Olivier Rolin se dessine une silhouette de femme, une inconnue et une muse en puissance, une passante baudelairienne « agile et noble, avec sa jambe de statue ». Apparition gracieuse et fugace, bientôt la femme s'éclipse, l'obscurité confuse retombe — « Un éclair… puis la nuit ! — Fugitive beauté/Dont le regard m'a fait soudainement renaître,/Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ? » écrivait le poète. « Un éclair puis la nuit », c'est le titre qu'Olivier Rolin avait donné jadis à un récit paru au sein d'un ouvrage collectif, Semaines de Suzanne (éd. de Minuit, 1991), bien plus impertinent qu'on pourrait supposer. La figure féminine d'« Un éclair puis la nuit ! » se nommait donc Suzanne, ou Susana, et il ne fait guère de doute que c'est elle qu'on retrouve aujourd'hui dans Veracruz, personnage central d'un drame baroque en quatre actes, quatre prises de parole qui racontent une même situation du point de vue des membres du quatuor qu'elle met en scène.

Il faut imaginer la ville de Veracruz plongée dans l'anxiogène torpeur qui précède quelque cataclysme — une tempête d'une puissance si extravagante qu'on croirait voir se profiler la fin d'un monde. C'est dans ce décor à la Vélasquez, drapé d'ombre, et comme traversé de sinistres présages, que s'élèvent les quatre monologues fascinants et terribles, saturés de concupiscence et de fureur mêlées. Autour de Susana, qui parlera la dernière, se trouvent trois hommes qui la contemplent et la convoitent : Ignace, un jésuite défroqué, tout ensemble grand lettré et employé servile, qui lui récite les frémissants Sonnets à Lisi, de Quevedo (« Si mis párpados, Lisi, labios fueran… » « Si mes paupières, Lisi, étaient des lèvres… ») ; Miller, mafieux sauvage et brute épaisse qui fait à Susana office de mari ; enfin, El Griego, l'ignoble père incestueux de la jeune femme.

Ces quatre récits composent un mystérieux diamant noir, qui échoit un jour entre les mains du narrateur du roman, de passage à Veracruz. Il semble que ce diamant soit le cadeau d'adieu que lui a laissé une autre passante éphémère, une autre Nadja, apparue et aussitôt disparue de sa vie. De quel message ce présent est-il porteur ? « Nous voulons toujours que tout ait un sens. Nous voulons que le temps aille sans jamais se retourner, que les événements s'enchaînent, que les livres aient un plan, une signification cachée, l'histoire une fin […] D'où tient-on qu'il y a toujours des causes ? Pourquoi toutes choses au monde doivent-elles être cause ou effet ? » songe le narrateur de Veracruz, qui en tiendrait plutôt pour cette hypothèse qu'Olivier Rolin posa ailleurs, selon laquelle « tramer de la beauté avec les mots […] est proprement l'objet de la littérature ». — Na.C.

 

Ed. Verdier, 122 p., 13 €.

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