Vaterland

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Vaterland

« On entre dans un mort comme dans un moulin », écrivait Sartre en préface à son essai sur Flaubert. Telle n'est pas la démarche d'Anne Weber lorsqu'elle part, d'abord hésitante, à la recherche de son arrière-grand-père, le philosophe et théologien allemand Florens Christian Rang, mort en 1924. Elle l'appellera « Sanderling », du nom d'un bécasseau « avançant et reculant au gré du ressac », autant dire qu'il s'agit pour elle d'un homme lointain, qui s'approche au fil des découvertes qu'elle fait dans les archives, mais qui recule aussi, enfoui dans « la broussaille du temps ».

Ce va-et-vient difficile, Anne Weber en relate l'expérience dans ce superbe livre. Que peut-elle connaître de cet intellectuel, qui croisa notamment Walter Benjamin et Martin Buber, et dont le carnet d'adresses contenait celle de Hofmannsthal ? Et pourquoi le fils de Sanderling devint-il nazi, « mouillé jusqu'à l'os » ? Anne Weber démaillote les liens ténus de la généalogie, tente de deviner ce qui, dans les écrits de Florens Christian Rang, aurait pu constituer un « signe avant-coureur » de la dérive de son fils.

Au début de ses recherches, elle se sent d'abord « intruse », puis appréhende de mieux en mieux le philosophe, ses doutes ou ses convictions face à la Grande Guerre. Cet aïeul qu'elle cherche dans les livres, dans les voyages qui la mènent jusqu'en Pologne, a été le contemporain de millions de morts de 14-18, et a finalement appelé à la fraternité – quand un petit caporal exhortait à la haine… Les fantômes des massacrés de l'Histoire, Anne Weber sent leur présence dans les lieux qu'elle parcourt. L'histoire de Sanderling et de son fils nazi, longtemps oubliée, voire cachée dans le « silence de plomb » familial, devient alors un point minuscule qui sans cesse se dérobe, pour réapparaître dans le tumulte des massacres.

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