Une rançon

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Une rançon

Vingt-neuf siècles que l’épopée d’Homère, premier chef-d’œuvre de la littérature occidentale, nourrit autour de la mythique guerre de Troie nos appétits de violence et de merveilleux, de pouvoir et d’amour, d’hommes et de dieux. Appétits d’histoires aussi, sans fin racontées, dont nos imaginaires n’ont plus jamais pu faire le deuil. Et les séries télé d’aujourd’hui — dont les épisodes sont autant de « chants » — de remplacer les épiques récits guerriers d’antan… L’Australien David Malouf se rappelle ainsi que, en écoutant son institutrice lire l’Iliade en 1943 — il a 8 ans, son pays est en guerre —, il a été « anéanti » par la proximité des deux affrontements. Autour de Troie, comme à Brisbane, où il habite et où le général Mac­Arthur prépare la campagne du ­Pacifique. Soixante-dix plus tard, il revient aux origines et récrit à sa façon puissante et intimiste à la fois le chant qui clôt l’Iliade. Celui d’avant le massacre, celui des funérailles enfin célébrées du héros troyen Hector, fils de Priam et meurtrier de Patrocle, ami-amant-âme soeur du Grec Achille qui ne se remet pas de sa disparition, refusant de rendre le corps d’Hector à son père. Pour mieux punir encore l’assassin, Achille traîne des jours durant le cadavre derrière son char. Il reste miraculeusement intact. C’est que les dieux veillent, qui aiment le pieux Hector.

Dans Une rançon, David Malouf évacue les dieux. Chez Homère, ils ont l’idée de trésors contre un corps ; chez Malouf, Priam seul imagine l’échange. Son patronyme, Priam, soit « le prix payé », n’évoque-t-il pas déjà un échange que fit Hercule pour lui sauver la vie ? Sans doute le vieux roi s’est-il toujours lui-même senti « rançon », comme en sursis. Alors il part. Sur une modeste charrette avec un modeste charretier. Même si sa famille y voit un geste indigne d’un roi. Et, le temps du voyage, il découvre la nature, les sensations simples. Allant chercher son fils mort, il découvre la vie. Avec un amour si neuf pour les choses et les gens qu’il aura peu de mal, bientôt, à convaincre Achille…

Malouf s’insinue dans la légende pour nous en faire visiter les coins d’ombre. Les minuscules histoires de la grande Histoire, celles qui en donnent le mystère et la grâce, la fragilité et les tremblements. Ainsi, après les onze jours de deuil acceptés par Achille, la guerre reprendra. Le destin ne change pas. Mais bruisse de mille éclats que Malouf suggère admirablement, maniant le charme et la puissance de l’antique, dans des phrases si sobres et si dépouillées, au rythme si lancinant qu’elles en deviennent étonnamment modernes. Le saut dans un temps immobile, toujours même et toujours recommencé, temps de guerre, temps de mort et de renaissance, n’en est que plus envoûtant.

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