Un faux pas dans la vie d’Emma Picard

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Un faux pas dans la vie d’Emma Picard

On tend l’oreille immédiatement, saisi par l’âpreté et l’urgence de la voix, la beauté tragique de son chant. On prend le discours par le ventre, on devine la douleur ressassée, pas de points en fin de phrases, paragraphes ponctués de leitmotivs. L’espace d’une nuit, Emma Picard se délivre de son histoire face au corps du dernier de ses quatre fils, allongé dans l’ombre, entre la vie et la mort. Dehors, des bruits, le sifflement du sirocco, le passage subreptice d’un chacal interrompent un instant la litanie des catastrophes, sauterelles, fièvres, sécheresses, tremblements de terre. Nous sommes à la fin des années 1860. Poussée par l’administration coloniale, Emma a cru aux promesses de prospérité, 20 hectares de terre du côté de Sidi Bel Abbes. « Levés aux aurores, couchés à la nuit, qu’est-ce que nous pouvions faire de plus ? » Emma s’accuse d’avoir entraîné sa famille dans cet enfer, maudit les « terres de ténèbres » qui n’ont jamais voulu d’eux, dresse son poing vers le ciel : « Etait-il possible que le Dieu des chrétiens ait tourné le dos à son peuple colonisateur venu tout exprès en Bar­barie pour chasser le mal et le remplacer par le bien ? » Le lecteur, ébloui par la puissance du récit, la musique entêtante de ce long soliloque aux accents bibliques, regarde dans le silence surgir les images. Ce texte, qui clôt une trilogie romanesque sur l’aventure coloniale française, aurait pu aussi bien l’ouvrir. Il en est, en tout cas, par ses qualités formelles, une forme de couronnement. — Michel Abescat

 

Ed. Flammarion, 256 p., 18 €.

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