Un cheval entre dans un bar

Ajouter un commentaire

Un cheval entre dans un bar

C’est une soirée qui se prolonge tard dans la nuit, et une histoire sans fin. Un juge à la retraite, Avishaï Lazar, reçoit un coup de téléphone d’un certain Dovale, qui se présente comme un ancien condisciple. Le juge, n’en ayant qu’un très vague souvenir, est sur le point de raccrocher, puis écoute la proposition singulière de son interlocuteur : il lui suffit de venir le voir dans un café à ­Netanya et d’assister à son stand-up, une sorte de performance sur scène. Le juge n’aura qu’à regarder, écouter et dire simplement ce qu’il a vu. Entendu surtout car, le soir en question, Dovale débite pendant des heures une invraisemblable logorrhée : des blagues salaces, des histoires apparemment sans queue ni tête, des confidences familiales, des réflexions impromptues sur la mort, la Shoah, la religion… L’homme est seul face à une assistance disparate composée de curieux, de permissionnaires, de motards, de couples ou de femmes seules, de serveuses en short qui passent de table en table. Un public tour à tour hilare, captivé, agacé, scandalisé, qui s’ennuie aussi, désarçonné par ce clown perdu dans ses propres paroles. Comment ne pas l’être, alors que Dovale enchaîne les registres, drôle, sérieux, tragique, emporté et soudain comme absent, balbutiant, au bord de l’asphyxie, avant de repartir de plus belle ?

Le juge, lui, hésite à partir puis reste, fasciné par un spectacle qui semble une mise à mort, un suicide public. Le lecteur est comme lui : on ne saisit pas bien où veut en venir Grossman, mais l’on reste dans ce livre insolite où l’on devine que les drames affleurent derrière les récits, captant ici ou là des bribes d’histoire. Dovale fut envoyé enfant dans un camp paramilitaire d’où on le sortit pour qu’il assiste à l’enterrement d’un de ses parents. Le juge, lui aussi, semble avoir perdu sa femme, qui continue pourtant à lui parler. Ce roman — si l’on peut appeler ainsi cet opus étrange… — est à la fois énigmatique et brouillon. Mais par la magie de l’écriture, Grossman nous a tendu un piège, et c’est un livre qu’on n’oubliera pas. — Gilles Heuré

 

Souss ehad nikhnass le-bar, traduit de l’hébreu par Nicolas Weill, éd. du Seuil, 234 p., 19 €.

Commandez le livre Un cheval entre dans un bar

Laisser une réponse