Un chant céleste

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Un chant céleste

Le chiffre quatre a toujours été primordial pour Yan Lianke, colossal et frémissant comme un arbre, né de parents analphabètes dans la campagne chinoi­se qui oxygène toute son oeuvre. Après Quatre Livres, son roman le plus dur et le plus ambitieux, libre variation sur les Evangiles autour d’un petit garçon ­appelé à diriger un camp de redressement, il donne aujourd’hui à entendre le Chant céleste de You Sipo, mère courageuse ayant enfanté quatre simples d’esprit. Le jour où le médecin a « éteint la dernière goutte de leur soleil familial » en diagnostiquant un quatrième retard mental dans sa progéniture, le père des enfants s’est jeté dans la rivière. You ­Sipo est donc seule à élever ceux qu’elle nomme « les quatre idiots », sous le regard impuissant du fantôme de son mari, ombre blanche « aussi fine qu’une aile de cigale ». Une obsession l’anime : marier ses enfants, devenus adultes, avec des « gens complets », dont le cerveau tourne rond et le corps marche droit.

Rabelaisien et fantasque, le livre suit les étapes de cette quête endurante, raclant le fond des cercueils, léchant les rayons de lune, fixant les yeux des chiens et des moutons. Magnifiquement traduite par Sylvie Gentil (décédée ce printemps), l’écriture de Yan Lianke fascine par sa truculence poétique. Humains, animaux, végétaux, minéraux, air, feu : chez lui, tout vit.

Parallèlement à ce conte primitif, l’auteur publie, chez le même éditeur, A la découverte du roman, un essai de haute volée sur la littérature dont il dissèque les mille et une déclinaisons du réalisme, de Dostoïevski à Kafka, en passant par García Márquez, Proust et Joyce. Yan Lianke a la pudeur d’évacuer son cas personnel dans un premier chapitre lucide et loyal, où il confesse être un « fils impie du réalisme », incapable de se défaire de son endoctrinement passé, du temps où il écrivait des romans officiels, mais décidé à dire le fond de sa pensée, crûment, résolument, authentiquement.

Yan Lianke écrit toujours les yeux ouverts. Parfois révulsés, comme ceux des quatre idiots de son roman, tournés vers un chaos intérieur. Parfois scrutateurs, forant au loin les mystè­res du monde qui s’agite devant lui. — Marine Landrot

 

Balou Tiange, traduit du chinois par Sylvie Gentil, éd. Philippe Picquier, 90 p., 13 €.

A la découverte du roman (Fa Xian Xiao Shuo), traduit du chinois par Sylvie Gentil, éd. Philippe Picquier, 208 p., 20,50 €.

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