Un bon fils

Ajouter un commentaire

Un bon fils

On n’échappe pas à sa généalogie — et croit-on y arriver, on se leurre. Sachant cela, il ne reste qu’à ruser, faire de l’héritage importun un tremplin. Ainsi, c’est en s’efforçant de « devenir enfin l’objet d’exécration de [son] père, [d’]incarner dans [sa] chair ce qu’il haïssait le plus », comme il l’écrit dans Un bon fils, que l’essayiste et romancier Pascal Bruckner s’est extirpé de l’enfance et réinventé tel qu’il est. Un récit d’apprentissage tout en sincérité et en retenue, qui n’a pas vocation à devenir le tombeau d’un père (mort en 2012) auquel Bruckner n’a d’autre hommage à rendre que celui-ci : « Mon père m’a permis de penser mieux en pensant contre lui. » Il faut préciser qu’en guise de figure paternelle Pascal Bruckner s’est vu doté par le destin d’un repoussoir : un tyran domestique, pervers et brutal, bourreau de sa trop consentante épouse. Un homme qui, sa vie durant, puisa dans la haine — pour mieux dire, les haines multiples : des étrangers, des Juifs, des femmes, de la modernité… — l’énergie de vivre et de survivre. Antisémite comme par « réflexe mental », pro-nazi et travailleur volontaire en Allemagne au début des années 1940.

Devenu, trente ans plus tard, un intellectuel connu (Le Nouveau Désordre amoureux, Le Sanglot de l’homme blanc, La Tentation de l’innocence…) et se revendiquant de gauche, son fils en ­tirera d’autant plus de fierté d’être souvent pris pour un Juif, alors même que la famille Bruckner est d’origine pro­testante. Reconnaissant pêle-mêle à Mai 1968, à Sartre et à Jankélévitch, qui lui fournirent les armes intellectuelles et mentales de l’émancipation, Bruckner s’est gardé de cultiver en lui la rancoeur : « La colère s’était atténuée sans que l’affection s’installe. Je lui vouais une tendresse navrée mâtinée d’exaspération. Je n’avais plus la force de le haïr. Je lui avais pardonné, par fatigue »… — Nathalie Crom

 

Ed. Grasset 256 p., 18 €.

Commandez le livre Un bon fils

Laisser une réponse