Un bébé d’or pur

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Un bébé d’or pur

Etiquetée par certains, lors que paraissaient ses tout premiers livres – c’était au début des années 1960 : A summer bird-cage, The Millstone… –, comme une romancière classique, voire académique, une héritière en droite ligne de Jane Austen et George Eliot débarquant incongrûment sur une scène littéraire britannique alors en pleine effervescence postmoderne, Margaret Drabble a accepté le verdict, expliquant peu ou prou qu’elle préférait accompagner les derniers moments d’une tradition littéraire finissante qu’elle respectait plutôt qu’intégrer les rangs d’un courant esthétique plus neuf, mais avec lequel elle ne ressentait nulle affinité. Cela posé, de façon claire et plutôt crâne, elle a continué d’écrire des nouvelles et des romans dans lesquels la vie domestique en général et l’expérience féminine en particulier sont certes les motifs récurrents, mais comme exhaussés par la qualité de son regard, mélange d’acuité psychologique mordante et de haute clairvoyance intellectuelle et morale.

De cette altière disposition d’esprit témoigne, aujourd’hui encore, Un bébé d’or pur, dix-huitième jalon d’une oeuvre romanesque désormais rangée parmi les classiques contemporains anglo-saxons — à l’instar de celle de Doris Lessing, qui, de Margaret Drabble, fut tout ensemble l’aînée, l’amie, le mentor et l’héroïne. Un bébé d’or pur, ou, embrassée des années 1970 jusqu’à nos jours, l’histoire d’une femme, sujet romanesque élémentaire, mais que Drabble irrigue d’un faisceau de réflexions — sur la relation mère-fille, sur le handicap physique ou mental et son accueil par la société, sur l’amitié et l’amour, sur les moeurs et leur évolution au cours des époques traversées, sur le destin… — qui donnent à ce roman grave une profondeur peu commune, une vraie dimension méditative.

Jess a 20 ans quand on fait sa connaissance, jeune femme encore étudiante, en anthropologie, mère célibataire, aimante et fière, d’Anna, née de ses amours clandestines avec son prof d’université. Anna, le « bébé d’or » de Jess, « la prunelle de ses yeux et l’épine dans son coeur », l’être auquel elle vouera toute sa vie un « amour exclusif, inconditionnel et indispensable ». Indispensable, car la sagesse, l’extrême douceur et l’éternel sourire de l’enfant se révéleront bientôt être les symptômes de son retard intellectuel, de la maladie mentale qui en fait une enfant pas comme les autres — « Ce sont les enfants du bon Dieu, disions-nous autrefois, mais nous ne croyons plus en Dieu aujourd’hui. Leur vie est cachée en Dieu, ainsi que l’écrivait Wordsworth en défendant son Enfant idiot, mais Dieu lui-même est à présent caché. Dieu a pris la fuite, mais Il nous a laissé ses enfants. »

C’est par la voix d’Eleanor, membre de la petite communauté informelle et amicale d’universitaires, de journalistes et d’artistes au sein de laquelle vivent Jess et Anna, que nous est rapportée cette histoire, qui verra Jess poursuivre son existence, entre travail, mari, amants, amis… L’ordinaire d’une vie, avec ses aléas banals et ses inflexions imprévisibles, mais dont le pivot, le pôle d’attraction magnétique demeurera toujours Anna, son éternelle douceur, son éternel sourire. Anna ou l’innocence, Anna ou le silence, étrange personnage romanesque, rétif à l’analyse psychologique, omniprésent et mutique, presque abstrait en fait, comme un emblème ou une allégorie, un point aveugle énigmatique placé par Margaret Drabble au centre de ce récit tout à la fois réaliste et cérébral, lent et subrepticement captivant, que ne vient ponctuer aucun épilogue décisif, aucune morale.

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