Un amour impossible

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Un amour impossible

C'est une histoire d'amour. Ou plutôt plusieurs histoires d'amour, qui s'épuisent et s'entremêlent jusqu'au chagrin fou, à l'anéantissement de soi, au rien. Et à l'imprévisible victoire sur le rien… D'abord deux amants s'aiment, publiquement. Puis un père et sa fille, sournoisement. Puis une mère et sa fille, pour l'éternité du meilleur et du pire. Extrême du plaisir, extrême de l'humiliation : Christine Angot, la scandaleuse, explore une fois encore les tortures inavouées de la passion, sentimentale ou filiale. Dans Un amour impossible, cet autre vénéré et honni est à la fois amant, maîtresse, mère, père, fille. Tous les amours font souffrir. Tous les amours sont impossibles…

Ça commence à Châteauroux, ingrate cité. Les Américains ont pourtant tenté de la réveiller en y installant, en 1951, une base de l'Otan. Christine Schwartz y naît en 1959. Son père, Pierre Angot, est interprète sur la base, et parisien « fils de famille ». Sa mère, Rachel, intelligente et belle jeune femme d'origine juive, travaille à la Sécurité sociale, vit avec sa mère que son père a abandonnée. Pierre et Rachel se rencontrent à la cantine, se désirent. Elle, follement ; lui, avec une perverse distance. Il est anticonformiste, brillant et lâche ; ne lui passe aucune faute de syntaxe ; refuse de l'épouser parce qu'elle nuirait à sa liberté et n'est pas de son milieu bourgeois antisémite. Il souhaite quand même faire avec elle cet enfant, Christine, qu'il tardera à reconnaître. Rachel accepte tout, vit pour d'éphémères rencontres. Qu'est-ce donc qu'aimer, qu'est-ce que cette fureur, cette horreur ?

Avec méticulosité et obstination — racinienne, proustienne ? —, Christine Angot fouille jusqu'au sang sa mémoire et celle de sa mère, leurs prémonitions, leurs inconsciences, leurs silences. Et peu à peu, au fil de ce chapelet de mépris et de non-amour, la succession sans joie de rejets, d'abandons devient nôtre. Lorsque surgit, au détour d'un chapitre, cet inceste dont Angot a déjà, plusieurs fois, cliniquement analysé l'épouvante, en lecteur attentif de son oeuvre on attend, prenant même un policier plaisir, dans ce dernier livre tout en correspondances, à en découvrir la face cachée : la mère qui n'a rien vu. Mais l'inceste n'apparaît qu'en creux, n'est pas le sujet. Même si Angot en dénonce avec fulgurance au final — pour elle et sa mère — l'oppression socio-politique non dite.

Domine et rayonne la relation mère-fille. Comment, face à une mère aimante jusqu'au sacrifice, une mère d'une rare finesse psychologique et qui toujours pardonne — telle Rachel dans cet amoureux portrait —, la fille passe irrésistiblement de la passion possessive à l'injustice. Comment elle sait les mots pour exécuter moralement sa génitrice. Christine Angot gratte à l'os des situations banales d'apparence : le coup de fil expédié à la va-vite pour se donner bonne conscience, le dégoût à prononcer jusqu'au mot « maman », l'absence qui s'installe. C'est bouleversant de vérité et de cruauté douce.

Car Angot traque si fort le mot exact, aiguise tant sa phrase, qu'elle laboure et égratigne nos profondeurs intimes. Au bout de son propre chemin de douleur, la fille a pourtant la chance, ici, de se réconcilier avec la mère. Cet amour-là, au moins, serait-il possible ? A condition de vivre « ici et maintenant », conclut Rachel, d'accepter la fragilité de la paix retrouvée, et de laisser pénétrer en soi un peu de lumière. Un amour impossible s'achève dans une étrange sérénité. Si les amours humaines sont impossibles, certaines en réchappent. Mystérieusement. Admirablement. — Fabienne Pascaud

 

Ed. Flammarion, 218 p., 18 €.

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