Un amour de mille-ans

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Un amour de mille-ans

« Okaerinasaï ! » : Sen-Nen chuchote ce mot musical japonais pour déclarer son amour à la jeune Française qui l’héberge chez elle, et vient de rentrer, de nuit, dans la maison où elle l’a laissé l’attendre toute la journée, pendant qu’elle assistait à un mariage de famille. Traduction approximative et réductrice : « Te voilà bien rentrée, enfin, quel bonheur ! » C’est ce même mot qu’on a envie d’adresser à l’écrivain Akira Mizubayashi, enfin de retour, après deux livres d’une profondeur et d’une maîtrise singulières, le premier sur son amour pour la langue française (Une langue venue d’ailleurs, 2011), le second sur son osmose avec « l’être le plus faible, le plus fragile, le plus totalement réduit à un état d’impuissance constante », à savoir sa chienne (Mélodie, chronique d’une passion, 2013). Dans son oeuvre littéraire palpitante, le recours à sa langue natale est une exception notoire, un rare soupir qui lui échappe, un bref cri de nouveau-né. Car la caractéristique de cet universitaire japonais (né en 1952 dans le nord de l’archipel) est d’écrire dans un français de haute tenue, lisse et tendu comme une seconde peau intérieure, au plus proche de sa vérité intime.

Son nouveau roman, Un amour de Mille-Ans, ne déroge pas à la règle, et nous accueille dans une autre galerie souterraine de son jardin secret, où résonnent nuit et jour les airs des Noces de Figaro, de Mozart. Caché derrière Sen-Nen, un personnage fortement autobiographique au prénom gorgé d’éternité ­(littéralement, « Mille-Ans »), l’auteur énonce les symptômes de cet attrait obsessionnel pour la musique classique, qui peut pousser un étudiant à se ruiner pour assister, cha­que soir, aux représentations d’un opéra où chante une cantatrice dont il est fou.

La réussite de ce roman, construit comme une partition, avec des airs tout à tour allègres et déchirants, entrecoupés de récitatifs formels (matérialisés par des échanges de courriels), vient de son rapport au temps. Akira Mizubayashi vole dans les espaces ­infinis que la musique ouvre en lui, s’ébroue dans des parenthèses enchantées où il observe le cheminement de chaque croche dans ses oreilles.

Par ailleurs, il revisite sa jeunesse, retourne en ces temps suspendus où l’essentiel prend naissance, où se cristallise une attirance pour une langue étrangère, où s’impose un épanchement pour une femme. Malgré ces bulles d’absolu où tout semble s’arrêter, la conscience d’avancer, de vieillir et de bientôt s’éteindre reste très vive. Avec l’âge, Sen-Men essaie de retrouver la chanteuse d’opéra qui le galva­nisa, étudiant, pour écouter sonner l’étrange écho des années passées.

Par ailleurs, Sen-Nen accompagne sa femme Mathilde, celle qu’il avait séduite d’un « Okaerinasaï », dans la maladie puis vers la mort. Après avoir vécu au Japon où ils ont élevé leur fille, le couple s’est réfugié en France, à cause de la catastrophe de Fukushima. Sen-Nen sait que les mille ans de son prénom ne suffiront pas pour effacer les conséquences de la catastrophe nucléaire. Il découvre que même sur sa terre d’asile, les jours sont comptés. Alors il conte ces jours, ceux de la fin, où seul subsiste l’amour. Avec une exigence des émotions intactes et sincères, jusqu’au dernier souffle. — Marine Landrot

 

Ed. Gallimard, 272 p., 20 €.

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