Un air de liberté. Variations sur l’esprit du XVIIIe siècle

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Un air de liberté. Variations sur l’esprit du XVIIIe siècle

Au sein de la bibliographie de Chantal Thomas, il est un merveilleux bréviaire, à lire et à relire sans fin : Comment supporter sa liberté (éd. Payot, 1998), précieux manuel à l’usage de ceux qui refusent la servitude volontaire – à mille lieues, faut-il le préciser, des préceptes ineptes du développement personnel. L’aspiration à la liberté, « l’esprit de rupture » qu’elle implique – avec la norme, avec le collectif, avec les injonctions de l’air du temps –, le prix qu’il convient donc souvent de payer pour elle constituent de fait l’un des points fixes de la réflexion de l’écrivaine et essayiste, qui a tout naturellement trouvé, dans « l’esprit du xviiie siè­cle », l’écho singulièrement vif de cette disposition intime. Rencontrés lors de son apprentissage intellectuel et esthétique, Casanova, Sade, Crébillon fils, mais aussi Mozart, Tiepolo ou Fragonard ont été ses guides et sont demeurés à jamais ses complices. « A force de fréquenter ces phrases et ces tonalités, de vivre dans leur éclat, leur dynamique et leurs nuances, un chemin d’écriture s’est peu à peu tracé pour moi, par contamination et enivrement d’une musique qui rejoignait les rythmes de ma vie la plus intime, son ressort… » explique-t-elle ainsi dans la préface qu’elle donne à ce beau recueil.

La petite vingtaine de textes que rassemble Un air de liberté compose une méditation sensible et érudite sur le libertinage, « variations sur un esprit rebelle et vagabond, ouvertement ou discrètement insoumis, attaché à la jouissance singulière, au refus de tout comportement de groupe », dans laquelle Casanova occupe une place centrale. Casanova, le libertinage version feu follet, passionné par le présent et l’instant, en « quête d’une harmonie entre art de jouir et art de vivre », merveilleuse « machine à produire du fantastique et des métamorphoses, du merveilleux, de l’insaisissable ». Un esprit ludique auquel Chantal Thomas oppose notamment le libertinage rigoureux, inflexible, presque austère, au fond, de Sade, sa « volonté de cohérence exemplaire à partir de la résolution, folle, d’aller jusqu’au bout de la volupté, de théoriser à l’excès, de fonder un discours de lucidité sur la frénésie maniaque, son point aveugle ».

Version hédoniste ou intraitable, « le libertinage n’est pas simple étourderie, fièvre de débauche, faiblesse d’un moment […]. Le libertin est quelqu’un qui se reconnaît dans ses égarements, persiste dans ses excès, et cherche à chaque rencontre prétexte à s’y livrer », analyse Chantal Thomas. Les libertins ne pouvaient dès lors que se heurter violemment à l’idéologie révolutionnaire de 1789, qui, « contre les valeurs du plaisir indifférent, de l’ironie et de l’oubli, de l’art de séduire et de rompre, […] promeut les vertus familiales, le bonheur conjugal et de procréation, la conscience morale ». C’est cet affrontement philosophique que met en scène la deuxième partie du recueil, avant d’élargir le prisme du seul libertinage vers la notion de liberté. Accueillant alors quelques figures féminines passionnantes, certaines célèbres, telles Mme Roland et la formidable Mme de Staël, que ses plaidoyers d’une rare pertinence contre l’esprit vertueux — car « c’est toujours au nom d’une vertu que se commettent les attentats politiques » – condamnèrent plus d’une fois à l’exil. « Enfin, relevons-nous sous le poids de l’existence », écrivait Germaine de Staël – la justesse de l’injonction est intacte.

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