Trois Fois dès l’aube

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Trois Fois dès l’aube

Ça pourrait être du théâtre. Trois actes légers et graves à la fois, apparemment réalistes, en fait totalement fous, mais semblant respecter une certaine unité de temps : les premières lueurs de l’aube. Quoique. L’homme et la femme qui reviennent en leitmotiv de ce singulier récit-pièce, y apparaissent à trois moments-clés de leur existence, où chacun n’a jamais l’âge qui conviendrait logiquement face à son partenaire… Alessandro Baricco s’amuse et prend plaisir à déstabiliser son lecteur. Trois Fois dès l’aube n’apparaît-il pas déjà, mystérieusement, dans Mr Gwyn (1) , son précédent roman ? Il y est l’énigmatique ouvrage laissé par un écrivain lassé d’écrire. Que Baricco a décidé d’écrire lui-même. « Livre dans le livre », jeu littéraire à la Perec, mâtiné d’absurde ­façon Ionesco, sous des éclairages entre chien et loup que n’auraient ­reniés ni Edward Hopper, ni David Lynch : le romancier italien compose en artiste accompli ses trois courtes histoires qui se lisent à grande vitesse, comme se vit un rêve. Et la vitesse fait aussi parti du plaisir du lecteur, ébaubi de la fulgurance de l’écriture, capable en quelques dialogues de si bien brosser les destins.

Un gamin qui regarde brûler la maison familiale sans bouger, et ses parents s’y consumer devant lui parce qu’en pleine dispute ils refusent de faire la paix ; le même gamin peut-être devenu assassin, se retrouvant concierge d’un hôtel minable et tentant de sauver une très jeune fille d’un amant violent. Laquelle jeune fille devient peut-être flic, protégeant d’abord l’orphelin aux parents brûlés vifs, avant de le faire arrêter des années après… Le tourbillon de la vie. Et du temps. Mais le temps existe-t-il encore dans dans ce ballet spatio-temporel où les décisions se prennent sur des coups de tête et où la fatalité tient à des riens : une robe jaune, des serviettes blanches, de petits bateaux en bois. Les personnages de Baricco sont souvent obstinés dans leur folie douce, solitaires et déterminés. Mais leur solitude est riche d’une force intérieure incandescente. Qui les broie et les magnifie. Comme des torches vives. Qui éclairent longtemps après qu’on les a, nous aussi, observées se consumer. — Fabienne Pascaud

 

(1) Mr Gwyn, éd. Gallimard, 184 p., 18,50 €, traduit de l’italien par Lise Caillat, éd. Gallimard, 122 p., 13,50 €.

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