Tous les vivants. Le Crime de Quiet Dell

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Tous les vivants. Le Crime de Quiet Dell

Mais comment diable fait l'Américaine Jayne Anne Phillips pour maintenir le lecteur en haleine et curiosité 536 pages durant, alors qu'elle y raconte un fait divers célèbre des années 1930, déjà totalement résumé au dos du gros livre ? Les sordides assassinats de Quiet Dell inspirèrent déjà à Charles Laughton le chef-d'oeuvre La Nuit du chasseur (1955). Et on se souvient de l'oppressant climat noir et blanc qui baignait le film expressionniste où chevauchait sinistrement Robert Mitchum… Rien de pareil avec cette adaptation romanesque mystérieusement rayonnante. Il y a de la magie en effet — et un bouillonnant imaginaire, et un raffiné et théâtral sens de la composition — pour parvenir à magnifier ainsi le crime. Si Jayne Anne Phillips (63 ans) sait à merveille jouer du fantastique, amener sans ruptures au pays des rêves et des souvenirs, conjuguer le passé et l'aujourd'hui, rendre vivants les morts et déjà morts les vivants, elle nourrit sa chatoyante écriture de scènes concrètes, toutes visuelles, d'objets et de matières. Mieux, elle accompagne d'authentiques photos de l'époque l'histoire de ce tueur en série aux multiples identités dans l'Amérique profonde des années 1930, mal remise de la crise de 1929. Est-ce par goût de l'argent que Harry Powers — ou Cornelius O. Pierson, ou Herman Drenth… —, fils de vaillants fermiers émigrés de Hollande, assassine ces riches veuves inscrites dans des agences matrimoniales, à qui il promet mariage ? Combien en a-t-il réellement supprimé ? On ne saura jamais. Jayne Anne Phillips s'arrête aux meurtres qui lui valurent la pendaison, et surtout à ceux d'Asta Eicher et de ses trois jeunes enfants. Sous l'aura d'une grand-mère un peu sorcière, les Eicher vivent de plus en plus pauvrement. Asta, autrefois brillante designeuse, n'a plus de travail, et croit sauver sa famille en épousant Powers. Elle s'y perdra, et ses enfants, sauvagement massacrés comme elle.

Aucune complaisance sanglante pourtant dans la fascinante enquête à laquelle se livre la romancière via une journaliste de son invention, la belle Emily Thornhill. C'est à travers le regard, les émotions et les désirs de l'affranchie reporter qu'on déchiffre l'histoire macabre, rebondissant de surprise en surprise. Car de reportage prétendument journalistique, le récit devient vite métaphore du bien et du mal. Joute entre bien et mal. On n'y saura rien des motivations de ce Powers à l'hypnotique regard bleu, ni de ce secret qu'avait découvert sur lui son père, au point d'hésiter à le sauver, enfant, de la noyade… Juste qu'il est une des incarnations de Satan, comme dans les romans de Georges Bernanos. Et quel est réellement ce mal qui use ici étrangement du besoin d'amour, voire des victimes recrutées à l'agence matrimoniale ?… Juste le vide et le manque d'amour… De l'amour, les survivants de Tous les vivants pourtant en débordent, et de sensualité et de générosité. Ici, même dans les rigides années 1930, des homosexuels peuvent s'aimer en paix, un couple adultérin aussi, et les orphelins délinquants sont adoptés. A l'indicible du mauvais, Jayne Anne Phillips répond par l'indicible du bon. Avec une lumière dans l'écriture qui évoque bien plus les films de Frank Capra que celui de Laughton. C'est qu'un délicieux petit fantôme — la fillette assassinée — veille sur tous les personnages. Alors le conte noir hanté devient conte de fées. — Fabienne Pascaud

 

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marc Amfreville. Ed. de L'Olivier, 536 p., 23,50 €.

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