Titus n’aimait pas Bérénice

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Titus n’aimait pas Bérénice

Guérit-on jamais d’un chagrin d’amour ? Veut-on même jamais guérir d’un chagrin d’amour ? Mutilée par sa passion défaite, alors que l’amant infidèle est retourné au cocon familial, une jeune femme s’interroge, années, mois et semaines durant. Pour affronter sa souffrance, elle a choisi de la passer au scalpel des tragédies de Racine, celui qui, d’Andromaque (1667) à Phèdre (1677), sut traduire dans une langue pourtant minimaliste et pure comme l’acier les violences, outrances et tourments des mystiques de l’amour terrestre. Parce qu’il venait justement de l’impitoyable jansénisme ? Parce qu’il était un enfant orphelin, élevé aux Granges de l’abbaye de Port-Royal des Champs, foyer de cette radicale doctrine honnie par Louis XIV et les jésuites ? Il en connaissait du fond de l’âme toutes les sévérités et privations pour résister à un monde noir et glacé, où la grâce divine n’est réservée qu’à de rares élus. Racine savait le prix de la désobéissance humaine, de ses irresponsables et torrides abandons à la destruction amoureuse, à la perte de soi en l’autre et non en Dieu. Alors, pour exorciser l’absence, la narratrice se met non seulement à mêler le Titus racinien — cet empereur romain qui, par ambition politique, quitte cruellement la tendre Bérénice — avec l’amour perdu. Mais à fouiller aussi — pour en percer les contradictions et les secrets — l’existence du poète favori de Louis XIV, de son historiographe attitré même, dès qu’il renonce, après la cabale de Phèdre, au théâtre, en 1677, à 38 ans.

Et l’on redécouvre alors sous la plume de la maîtresse bafouée d’aujourd’hui — et de la brillante agrégée de lettres Nathalie Azoulai — la vie singulière d’un génie aux deux visages. Sensuel amant des meilleures actrices du temps, courtisan intriguant, épris d’un monarque dont il se croit le double, puis père de famille scrupuleux, chrétien torturé par son renoncement à l’austère foi d’antan. Et le roman au sobre mais délicat style Grand Siècle conjugue les points de vue, les fièvres du sentiment, passant de la narratrice de 2015 aux peines du rival triomphant de Corneille, hier. Avec Titus n’aimait pas Bérénice (peut-on vraiment l’affirmer ?), Nathalie Azoulai démontre avec une sensibilité écorchée la formidable modernité des anciens. Et comme il est enchanteur, excitant et rédempteur de se perdre et de se retrouver dans la ferveur de leur écriture… — Fabienne Pascaud

 

Ed. P.O.L, 316 p., 17,90 €.

 

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