Tilleul

Ajouter un commentaire

Tilleul

Une pancarte « Attention chien » orne le portail de la maison de Sophie, sans qu’aucun animal n’ait jamais été vu ni entendu. Cette fausse piste, au début du livre, est révélatrice de la méthode d’Hélène Lenoir, romancière toujours joueuse et prompte à brouiller les cartes. Le titre de son nouveau roman, Tilleul, est lui aussi une pancarte trompeuse. Comme le voisin s’interroge sur une présence canine chez l’héroïne, le lecteur cherche les effluves de l’arbre à tisane cramponné à un bout de jardin et menacé par des travaux. Peine perdue, le tilleul n’est qu’un McGuffin, comme disait Alfred Hitchcock pour désigner ses leurres scénaristiques. Un prétexte pour organiser la rencontre entre la propriétaire du chien invisible et Jonas Raasch, le jardinier chargé d’aménager le terrain d’à côté. Coup de foudre, liaison éclair, et le jardinier repart dans sa fourgonnette.

Tout l’art d’Hélène Lenoir est d’orchestrer une symphonie cacophonique et poignante de voix inidentifiables. Qui parle ? Qui s’épanche ? Qui se plaint ? Le récit donne la parole à une série de personnages en proie au doute et à la peur, à l’ennui aussi parfois, sans que jamais il ne soit possible de leur mettre un nom. Comme dans La Folie Silaz, où déjà Hélène Lenoir s’immisçait dans le désordre des pensées d’une famille aux abois, un fil directeur apparaît, fin, soyeux, arachnéen : le deuil a frappé quelques-uns, il y a longtemps déjà, mais le pincement reste quotidien et provoque une insidieuse déroute. Et comme dans La Crue de juillet, son meilleur livre à ce jour, où une journaliste se trouvait parachutée dans un pays impossible à cerner, l’errance intérieure des protagonistes va de pair avec un profond ancrage dans l’environnement. Très dialogué, Tilleul donne pourtant l’impression d’un livre silencieux, étouffé, où les êtres tourbillonnent sur eux-mêmes, emportés par « le roulis des jours qui leur donnait souvent la sensation de stagner, voire de reculer quand, malgré les cahotements, ils finissaient par s’endormir et se réveillaient en sursaut, sans savoir s’ils avaient rêvé ou réellement vécu ces choses ». Lire Hélène Lenoir est toujours une expérience complexe et désarçonnante, qui donne un goût de revenez-y. — Marine Landrot

 

Ed. Grasset, 190 p., 16 €.

Commandez le livre Tilleul

Laisser une réponse