Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ?

Ajouter un commentaire

Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ?

Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ? La forme interrogative du titre du nouvel ouvrage de Frans de Waal laisse un vague espoir aux zélateurs du génie humain, mais il sera étrillé dès les premières pages : pour le célèbre primatologue néerlandais, Homo sapiens est un peu neuneu. Sinon, comment expliquer son obstination à tenter de mesurer les facultés mentales des autres espèces animales à l’aune des siennes ? Les souris sont-elles capables de se servir d’outils ? Les dauphins parlent-ils ? Comme si l’absence de langage était forcément synonyme d’absence de pensée…

Frans de Waal, lui, ne manque pas d’humour. Surtout, il prend un plaisir manifeste à relater des dizaines d’expériences menées depuis des lustres dans des labos du monde entier, truffant son récit érudit d’anecdotes savoureuses et de confidences personnelles. Il tape du poing sur la table, aussi, à l’image du coup de gueule qui conclut le livre : « Cessons de faire de l’homme la mesure de toute chose ! Evaluons les autres espèces par ce qu’elles sont, elles ! »

« Ce qu’elles sont, elles », c’est précisément ce qu’entreprend de révéler Révolutions animales, une remarquable somme d’articles de spécialistes internationaux, philosophes, éthologues, juristes, anthropologues, biologistes (Jane Goodall, Boris Cyrulnik, Peter Singer, Vinciane Despret, Eric Baratay, Marc Bekoff, Gilles Boeuf, Yves Christen, Elisabeth de Fontenay, etc.) Quatre-vingts contributeurs au total, cornaqués par Karine Lou Matignon — on salue au passage la belle opiniâtreté avec laquelle la journaliste et essayiste empoigne cette question animale depuis deux décennies déjà. La multiplicité des approches — très joliment illustrées, ce qui ne gâche rien — contribue à faire jaillir de manière limpide ce fait capital : chaque espèce a son propre univers mental. Un environnement sensoriel singulier, que le biologiste et philosophe allemand Jakob von Uexküll baptisa en son temps Umwelt. Ainsi, l’Umwelt de l’éléphant est essentiellement acoustique et olfactif. Et dès lors que l’on saisit pleinement que l’intelligence ne se réduit pas à des connexions cérébrales, que l’on entraperçoit la richesse des cognitions animales, on ne peut plus faire autrement qu’envisager d’autres rapports avec les animaux, ou du moins certains d’entre eux. Ce changement de paradigme induit des changements en cascade, philosophiques, juridiques, voire alimentaires, explorés par ce beau livre qui fera date.

De ces deux ouvrages, on ressort frappé par la rudesse avec laquelle le monde scientifique a longtemps tapé (tape encore ?) sur les doigts des impudents chercheurs qui osent prêter des émotions et des intentions aux animaux. « Je ne compte plus les fois où l’on m’a traité de naïf, de romantique, de doux rêveur, de non-scientifique, d’anthropomorphique, d’anecdotique, ou simplement de médiocre penseur, lorsque j’expliquais que les primates suivent des stratégies politiques, se réconcilient après les disputes, ont de l’empathie pour les autres ou comprennent le monde social qui les entoure », écrit Frans de Waal. Quelle drôle de cécité, celle qui empêche de voir ce qui saute aux yeux : « La vie intelligente n’est pas uniquement à chercher aux confins de l’espace, elle existe en abondance ici, sur Terre. » — Marc Belpois

 

Are we smart enough to know how smart animals are ?, traduit de l’anglais par Lise et Paul Chemla, éd. Les Liens qui libèrent, 320 p., 24 €.

Révolutions animales, éd. Les Liens qui libèrent, 576 p., 38 €.

Commandez le livre Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ?

Laisser une réponse