Soldats. Combattre, tuer, mourir : procès-verbaux de récits de soldats allemands

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Soldats. Combattre, tuer, mourir : procès-verbaux de récits de soldats allemands

En 1945, le général allemand Rothkirch, évoquant les exécutions massives de Juifs à Lemberg et Kutno, en Pologne, utilise le terme de « bestialisation » pour exprimer l’insupportable violen­ce dont il a été témoin. Un spectacle dont il dit encore, plusieurs années après les faits, qu’il lui « répugne ». Mais ce qui l’inquiète le plus est que quelques-uns de ces Juifs aient pu en réchapper et aillent « raconter ça partout, reprennent la barre et se vengent ». Et de con­clu­re : « Ça serait bien entendu effroya­ble. » C’est l’une des paroles édifiantes contenues dans les quelque cent cinquante mille pages de procès-verbaux de prisonniers de guerre allemands que l’historien Sönke Neitzel a découverts, en 2001, dans les archives nationales britanniques et américai­nes. Internés dans les camps de Trent Park, de Latimer House en Angle­terre ou à Fort Hunt aux Etats-Unis, les soldats prisonniers ignoraient qu’ils étaient sur écoute et que la retranscription de leurs conversations était étudiée par les services de renseignement alliés. Quand il découvrit ce matériau extraordinaire, inutilisé par les historiens mais d’une telle ampleur qu’il lui était difficile de l’exploiter seul, Sönke ­Neitzel demanda l’aide du psychosocio­logue Harald Welzer, afin de mieux comprendre la portée et le sens qu’il convenait d’attribuer à toutes ces ­paroles. Car ces procès-verbaux sont stupéfiants.

Ce qui paraît aujourd’hui indicible était alors le quotidien des millions de soldats allemands qui firent la guerre dans toute l’Europe. Exécutions en masse, viols, destructions systématiques, bombardements, combats : qu’ils soient pilotes de chasse ou de bombardiers, fantassins, sous-mariniers, caporaux ou généraux, ils en parlent entre eux, racontent, décrivent et laissent libre cours à leurs confidences. « Les chevaux me faisaient de la peine. Les gens, pas du tout », dit un lieutenant de la Luftwaffe qui a mitraillé un convoi de civils en Pologne. « Qu’est-ce qu’on s’est amusés », dit un sous-marinier racontant comment il a coulé un convoi transportant des enfants. « Rattata » est l’interjection utilisée par le caporal parachutiste Büsing pour expliquer comment sa compagnie, à l’aube, a assassiné au pistolet-mitrai­l­leur tout un village « près de Lisieux-Bayeux », en 1944. « Liquider », « dégommer » allait de soi, et, curieusement, ce sont surtout la technique des armes, le tonnage des navires, les comparaisons entre avions ou la facilité avec laquelle on atteint certaines cibles, comme ce bus à Folkestone, en Angleterre, dont se vante un pilote, qui sont au centre des conversations.

« Les récits s’intégrant dans le contexte du processus d’extermination restent relativement minces. On pourrait résumer la situation en disant que les hommes ont clairement conscience du fait que cela se produit, qu’ils l’ont intégré dans leur cadre de référence, mais que cela reste assez marginal dans leur économie mentale », expliquent Sönke Neitzel et Harald Welzer. C’est le système de valeurs, « d’orientation mentale », qui, selon les auteurs, peut aider à comprendre comment des hommes « ordinaires » ont pu commettre les atrocités que l’on connaît, ne s’en plaignant que pour les conditions d’exécution — lors des exécutions de masses, les tireurs sont remplacés toutes les heures devant les fosses, pour cause de surmenage —, mais ne contestant pas, sauf exception, la légitimité des meurtres en série.

La compréhension de ces années de guerre vient de nouveau d’être enrichie par ce grand livre (1.) Complétant les travaux de Daniel Jonah Goldhagen (Les Bourreaux volontaires de Hitler, 1997) ou ceux de Christopher Browning (Des hommes ordinaires, 1994), Neitzel et Welzer soulignent l’importance de la tradition militariste et des vertus militaires dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres. Quant à la con­fian­ce envers Hitler, elle conditionne la grande majorité des combattants : « La politique laisse place à la foi », estiment les auteurs. Renier Hitler aurait été, pour une génération de combattants, se renier soi-même.

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