Si j’avais su…

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Si j’avais su…

Santa Cruz, orchestre de jazz : « Un soir après la fin des danses (notre succès final était un pot-pourri comprenant Goodnight, sweetheart et Nighty Night), je me présentai à une jeune femme comme Stan Cavell. Les deux premières syllabes du nom polonais original de la famille, Kavelieruskii (changé à Ellis Island presque quarante ans plus tôt) se détachèrent avec autant de netteté que si j’avais proprement sectionné un diamant. » Qui est-ce ce Stan Cavell, lui demande sa mère ? « C’est moi, lâche le fils. Et j’ajoutai, tombant du ciel en vérité, trop fort peut-être : "désormais". » Changer de nom pour s’inventer soi-même : voilà l’une des lignes directrices de ces Mémoires du grand philosophe juif américain Stanley Cavell, qui eut une première vie de musicien — cette conversion de la musique à la philosophie étant inscrite au coeur du livre, riche en rebondissements. Ecrit entre juillet 2003 et septembre 2004, dans un moment de flottement causé par un examen médical, un cathétérisme cardiaque, Si j’avais su… mêle avec brio deux temporalités : le moment de l’écriture et le temps du souvenir, ­depuis l’enfance — passée entre Atlanta, Géorgie, et Sacramento, Californie, au gré des commerces tenus par son père, tantôt bijoutier, tantôt prêteur sur gages —jusqu’aux crises de l’âge adulte.

Entre ses « fixations » et ses « décalages », le penseur, né en 1926 à Atlanta et professeur à Harvard, trace l’une des voies les plus originales de la philosophie contemporaine, établie au croisement de la tradition américaine analytique et de la tradition continentale franco-allemande. Très influencé par J.L. Austin, l’auteur de Quand dire, c’est faire, Stanley Cavell a consacré un livre majeur à Ludwig Wittgenstein, Les Voix de la raison. La philosophie du langage ordinaire le passionne autant que les tragédies de Shakespeare et le cinéma (de La Projection du monde, réflexion métaphysique, à A la recherche du bonheur, consacré aux comédies de remariage hollywoodiennes, un genre inven­té par Cavell). Il s’est encore construit en compagnie des livres trop souvent dévalorisés d’Emerson et de Thoreau, dont il a mis en avant la teneur philosophique si américaine : « La philosophie, dans sa motivation la plus absurde, implique la décision de tout recommencer, de revenir totalement sur ces propres ­expressions, en ne laissant plus rien debout, ou bien peut-être, comme Emerson présente le problème, ne faire que se rapprocher de l’Amérique, de ces rochers ­sinistres comme il dit », écrit Cavell. La voie philosophique, pour lui, est avant tout une voix, une tonalité particulière à trouver et à forger, à partir de sa propre vie. Si ces Mémoires sont si riches, si prenantes, c’est bien parce que la philosophie et l’autobiographie sont chez Cavell la doublure l’une de l’autre. Quand il évoque ses premiers cours de philosophie suivis en 1948 à l’UCLA, l’université de Los Angeles, ne note-t-il pas « je sentis que j’avais trouvé quelque chose comme un chez moi, un endroit en tout cas où ôter mes chaussures et pendre mon chapeau — je veux dire que je cessai d’imaginer qu’il puisse y avoir ailleurs, pour moi, un endroit plus évident à rechercher » ? Si j’avais su… dresse les murs de cette maison accueil­lante, où le lecteur se sent aussi chez lui.

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