Seul dans Berlin

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Seul dans Berlin

C’est en 1946 que Hans Fallada (1893-1947), de son vrai nom Rudolf Ditzen, termina cet ultime roman. Un livre sur la résistance allemande au nazisme pendant les années 1940 à 1942, qui est aujourd’hui retraduit et réédité dans une version intégrale, incluant les coupes initialement effectuées. En ­effet, lors de sa parution, dans la partie de l’Allemagne qui allait devenir la RDA, la version originale avait été censurée, le livre mettant en scène des personnages s’opposant au régime nazi après en avoir été préalablement proches – la complexité de tels parcours contrariait la doctrine des vainqueurs.

Seul dans Berlin, monument de plus de 700 pages dans la traduction française, ne propose pas une lecture purement idéologique de ces années où le IIIe Reich tout-puissant imposait la terreur. Le roman, écrit en un peu plus d’un mois par Fallada – morphinomane en proie à ses démons intérieurs et qui allait décéder un an après la parution du livre –, offre à suivre une ­galerie d’individus vivant dans le même immeuble, au numéro 55 de la rue Jablonski, à Berlin. Des gens simples, ­certains harassés de travail, d’autres profitant des prébendes du nouveau ré­gime. « Parmi les jeunes écrivains qui traitent de la vie allemande d’aujour­d’hui non pas pour la transformer et l’idéaliser, mais pour la décrire de façon réaliste, Hans Fallada est l’un des tout premiers », écrivait déjà Hermann Hesse en 1932, à propos du roman Quoi de neuf, petit homme ?. Seul dans Berlin est encore la description d’une ville allemande et de ses habitants qui souffrent de toutes les pénuries, de la crise du logement, du chômage. Mais, en cette période du nazisme triomphant, la crainte omniprésente conduit chacun à surveiller les autres, pour s’en méfier ou pour les dénoncer.

Hans Fallada suit pas à pas les habitants de l’immeuble et les fait se croiser. La factrice Eva Kluge, mariée au minable Enno, joueur invétéré, effectue ses tournées rue Jablonski : elle doit livrer le Völkischer Beobachter, l’organe de presse du Parti national-socialiste, chez les Persicke, qui fêtent la victoire sur la France à grandes lampées de schnaps et dont les deux fils aux « bottes miroitantes » ont intégré les Jeunesses hitlériennes. Aux autres étages habitent le juge Fromm ; à la retraite, Frau Rosenthal, femme juive dont le mari est interné en camp de concentration ; et le couple Quangel, auquel Eva Kluge annonce la mort de leur fils sur le front. Lui est contremaître dans une usine, homme sec et taiseux qui « semblait n’avoir été toute sa vie qu’une bête de somme, sans aucun autre centre d’intérêt que le travail qu’il devait accomplir ». Mais, aux côtés de sa femme, Anna, poussé par un simple sentiment d’injustice, sa révolte mûrit lentement. Le sinistre spectacle des mouchards et des mauvais ouvriers protégés et promus parce qu’ils sont membres du parti, des petits voleurs qui cambriolent l’appartement de la vieille Rosenthal en espérant l’impunité parce qu’elle est juive, et de tous ceux qui paradent avec le brassard à croix gammée le conduit à envisager ce qui, auparavant, lui aurait semblé impensable. Tous les dimanches, sa femme et lui écrivent des tracts hostiles au pouvoir, qu’ils sèment un peu partout dans Berlin, dans les immeubles ou sur le rebord des fenêtres, en espérant que d’autres Berlinois feront de même, gripperont la machine nazie et, pourquoi pas, renverseront le Führer et mettront fin à la guerre. Inspiré d’une histoire vraie, ce fabuleux roman évoque de façon presque naturaliste les cours nauséabondes, les usines ou les cafés, la stridence des rues berlinoises. Il dit surtout la peur, d’abord sourde puis de plus en plus précise, qui étrangle.

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