Sans état d’âme

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Sans état d’âme

Les romans d’Yves Ravey sont des mécaniques de haute précision. Des dispositifs savants et hypersensibles dont on ne se lasse pas d’observer les subtils rouages — admirant, à travers cet engrenage, la méticulosité virtuose avec laquelle l’horloger en a sculpté les pièces avant de les assembler et de lancer sa délicate et implacable machine. Car, qu’on ne s’y trompe pas, le destin toujours est à l’oeuvre chez Ravey, imparable, impitoyable, et qu’ils le sachent ou feignent de l’ignorer, ses héros très discrets n’y échapperont pas. Celui-ci, autour de qui Sans état d’âme est construit, s’appelle Gus. Où sommes-nous ? Quelque part dans l’est de la France, dans une région frontalière où il fait très froid l’hiver — alors est-ce bien raisonnable de s’y attarder, comme l’envisage John Lloyd, un Américain de passage, se demande et lui demande Gus ? Bientôt l’on saura que son obligeance envers l’étranger n’est pas que gentillesse : John est tombé amoureux de Stéphanie, a résolu de sinstaller avec elle, puis de l’emmener en voyage loin d’ici. « Mais pourquoi ? ai-je demandé, elle n’a pas besoin de toi pour voir du pays ? Il a répondu qu’elle méritait une autre vie. Ici, c’est un trou perdu. Elle n’a personne. J’ai prétendu qu’il se trompait. Ici Stéphanie était très entourée. J’ai ajouté : Et toi, John, tu n’es pas chez toi, dans ce pays, malgré tout ce que t’imagines ! Ici, tout le monde se connaît, et toi, tu ne connais personne ! »

Il est comme ça, Gustave Leroy — cest son vrai nom, mais dans ce coin où il a grandi, où est enterré son père, où vit encore sa mère âgée, dans ce coin où lui, à l’inverse de John, connaît tout le monde, il est simplement Gus —, il a l’air simple et affable, sans défense face aux manipulateurs et profiteurs de tout poil qui l’entourent. Pourtant, lorsqu’on le contrarie, c’est sans état d’âme qu’il prend les choses en main. Et moins que de la pseudo-intrigue de ce pseudo-roman noir, c’est de sa psyché rouée que le lecteur se retrouve ici fermement captif, le temps de ce monologue vif, saisissant, retors et désespéré. — Nathalie Crom

 

Ed. de Minuit, 126 p., 12,50 €.

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