Rideau de fer. L’Europe de l’Est écrasée, 1944-1956

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Rideau de fer. L’Europe de l’Est écrasée, 1944-1956

Par millions, des populations que le conflit avait déplacées – exilés, prisonniers, déportés – assaillaient les gares et cheminaient sur des routes défoncées. L’Europe de 1945 était un immense théâtre de ruines et de misère. La guerre était tout juste finie que, déjà, les prémices d’un autre conflit géopolitique se dessinaient, qui allait diviser l’Europe avec ce que Churchill appela « le rideau de fer », titre du livre magistral de l’historienne américaine Anne Applebaum.

Des centaines de témoins interrogés, des kilomètres d’archives compulsés, la lecture des nombreux ouvrages sur cette période lui ont permis d’établir cette somme, dans laquelle elle ne se contente pas de raconter, mais revient aussi sur le totalitarisme, pour mieux le décomposer. Terme galvaudé mais qui revêt tout son sens, au long de ces six cents pages qui embrassent le destin d’un « bloc », l’Europe orientale : Pologne, Hongrie, Allemagne de l’Est, Tchécoslovaquie, Roumanie, Yougoslavie, Bulgarie et Albanie. Anne Applebaum s’attache plus particulièrement aux trois premiers, dont les parcours historiques diffèrent, l’Allemagne ayant été le principal acteur de la guerre, la Pologne ayant depuis longtemps souffert de ses voisins allemand et soviétique, la Hongrie ayant tardivement changé de camp. Comme les autres pays, ces trois-là vont voir s’abattre sur eux la chape de plomb stalinienne.

Des sommes historiques récentes (1) ont déjà tracé les contours politiques, sociaux et économiques non seulement de l’URSS, mais aussi des pays satellites, jusqu’à l’aube des années 1980. Mais les pistes suivies par Anne Applebaum, et surtout les témoignages recueillis, précisent et complètent l’approche de cet incroyable puzzle européen, dont le démantèlement est encore si proche. « Des chars, des chars, des chars et des chars », aux côtés desquels marchent des « amazones avec des tresses blondes » : c’est ainsi que le Hongrois John Lukacs vit l’Armée rouge entrer dans Budapest, en 1945. Des soldats affamés, stupéfaits d’entrer dans des villes qui leur semblaient luxueuses, et qu’ils allaient piller. L’URSS investissait des régions qu’elle allait peu à peu contrôler, déployant police politique et administrateurs, multipliant les arrestations et les exécutions pour désintégrer les structures politiques – y compris celles qui, comme en Pologne, avaient lutté contre les nazis – pour imposer un nouveau régime. Par centaines de milliers, on déporta dans les camps du Goulag, on traqua les organisations clandestines. L’Homo sovieticus fut érigé en modèle.

On connaît le scénario tragique de ces années-là, mais des anecdotes lui donnent aussi une dimension, a posteriori, surréaliste. Ainsi, cet employé de la radio polonaise affecté au script de la météo, rappelé à l’ordre parce qu’il évoquait « un front atmosphérique froid » en provenance de Russie. Ou, en 1948, ce jeune Allemand de l’Est démocrate-chrétien demandant par téléphone à un ami ce qu’il devait faire après avoir appris l’arrestation d’un tiers, et entendant sur la ligne la voix d’un policier à l’écoute : « Simplement être prudent… » Le jeune homme s’appelait Ernst Benda, et il passa à l’Ouest dans l’heure qui suivit – 3,5 millions de ses compatriotes fuirent l’Allemagne de l’Est entre 1945 et 1961, juste avant l’érection du Mur. Au total, ce Rideau de fer est le formidable et dramatique roman d’une Europe remodelée.

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