Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique

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Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique

Dans la galaxie des pensées féministes, il est une planète méconnue en France, l’écoféminisme, mouvement d’idées et mobilisations politiques qui entrelacent enjeux environnementaux et féministes. C’est pourtant une Française, Françoise d’Eau­bonne, qui inventa le terme, mais celui-ci a vite quitté l’Hexagone pour s’épanouir ailleurs, aux Etats-Unis notamment. Grâce aux éditions Cambourakis, on peut enfin en (re)lire un texte majeur, Rêver l’obscur, de la Californienne Star­hawk, agrémenté d’une pré­face éclairante de la philosophe Emilie Hache. Ecrit en 1982, alors que Star­hawk avait 31 ans, l’essai n’a pas pris une ride. Mieux, il ­résonne plus intensément encore dans notre monde en crise.

Son auteur est une figure des mobilisations non violentes, altermondialistes et écologistes, aux Etats-Unis. Rêver l’obscur est d’ailleurs né d’une « expérience cruciale » vécue par Star­hawk en 1981 : le blocus de la centrale nucléaire de Diablo Canyon, en construction près d’une faille géologique californienne. Initiatique, cette mobilisation fut « un voyage à travers la peur, une descente dans l’obscur et un retour avec (…) une pleine capacité d’agir (empowerment). » Starhawk se revendique féministe et sorcière. C’est courageux. Magie, sorcières sont des mots dérangeants, « qui compromettent, qui exposent à la confusion avec le new age, à la dérision, au soupçon (une secte de plus !) », écrit la philosophe Isabelle Stengers dans la postface. Il serait facile de mettre « l’aventure des sorcières au compte de la naïve Amérique, voire des exotismes de l’expérimentation californienne ».

Fausse route. On ne trouvera pas une once d’ésotérisme sous la plume de Starhawk. Se dire sorcière, c’est déranger nos préjugés, nous prendre à rebrousse-poil et lutter contre « la culture de la mise à distance », qui nous intime de nous couper de la nature, des autres, voire de nous-mêmes et nos sensations. Le mot magie « met les gens mal à l’aise, aussi je l’utilise délibérément car les mots (…) qui paraissent acceptables, rationnels, scientifiques et intellectuellement fiables, le sont précisément parce qu’ils font partie de la langue de la mise à distance ». Dès lors, parler magie devient un acte subversif. Mais aussi une façon inédite, créative et pragmatique de faire de la politique.

Se dire sorcière, c’est s’identifier aux victimes de « la misogynie et la persécution religieuse (…) et rendre aux femmes le droit d’être fortes, puissantes et même dangereuses, en faire les héritières des guérisseuses et des sages-femmes, et de toutes celles qui pratiquaient les formes de savoir non approuvées par les autorités ». Dans un chapitre saisissant, Starhawk raconte la persécution des sorcières aux xvie et xviie siècles, qu’elle relie à l’émergence du capitalisme, au mouvement des « enclosures » (la privatisation des terres communales) et à la mise sous contrôle politique de la connaissance. Elle lève le voile sur une bataille qui détruisit le lien des paysans avec la terre, interdit aux femmes la fonction de soignante, et imposa la vision mécaniste de la nature comme matière inerte.

« Cette rupture fonde les oppressions inséparables de race, de sexe, de classe et la destruction écologique. » Jusqu’à aujourd’hui, « la fumée des sorcières brûlées est encore dans nos narines ; elle nous intime de nous considérer comme des entités séparées, en compétition, impuissantes et seules ». Dans une langue simple, concrète, toujours juste, Rêver l’obscur propose un antidote qui en appelle à notre intellect et nos sens, fidèle à la devise des sorcières : « des cho­ses, pas des idées ». Et donne à lire l’itinéraire et la pensée d’une femme libre. — Weronika Zarachowicz

 

Dreaming the dark, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Morbic Ed. Cambourakis 352 p., 24 €.

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