Règne animal

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Règne animal

Le texte court au ras des corps, tragique et halluciné, âpre et lyrique tout à la fois, radical et violent jusqu’au malaise. Corps au travail, harassés, malmenés, cabossés. Corps blessés, « suintant et dégorgeant le sang, le pus et la glaire ». Corps jouissant, en quelques gestes heurtés, rapidement emportés en un dernier spasme « qui pourrait être celui d’une agonie ». Organique, vibrant, Règne animal fouille les entrailles d’une famille d’éleveurs du Gers, minuscules paysans devenus entrepreneurs, propriétaires d’un élevage industriel de porcs où les truies allaitantes, entravées par des sangles et des barres de métal, survivent sur des plaques de fibrociment.

La fresque s’étend sur le xxe siècle, prend sa source dans la nuit d’une petite exploitation familiale où les protagonistes n’ont pas encore de nom, juste « le père » ou « la génitrice », victimes d’un destin qu’ils n’ont pas choisi, collés au bétail et à la terre où s’infiltrent le sang des bêtes et la sueur des hommes.

A cette violence archaïque s’ajoute bientôt celle de la grande boucherie de la guerre de 14, avant que le récit ne passe brutalement à 1981, année de naissance de l’auteur, quand les porcs sont devenus des machines high-tech, la ferme une usine à viande et les hommes des esclaves de la course au rendement. Le texte court, sans fléchir jamais, fascinant de noirceur, s’attache aux détails, traque les gestes et les regards, précis jusqu’à l’hyperréalisme. Il dit les odeurs et les humeurs, les suintements, la sueur et le sang et le foutre et la merde, le martyre des animaux et la souffrance des hommes. Jean-­Baptiste Del Amo, inspiré et engagé, explore avec une singulière puissance la violence faite aux animaux, s’interroge sur la transmission de cette brutalité d’une génération à l’autre, et pose in fine la question de notre humanité. Ce quatrième roman est sans doute son meilleur. — Michel Abescat

 

Ed. Gallimard, 432 p., 21 €.

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