Que faire de ce corps qui tombe
La littérature est un sport de combat. Entre l’auteur et le narrateur, le romancier et ses personnages, et parfois entre le lecteur et son livre… On découvre maintenant, grâce au formidable Que faire de ce corps qui tombe, que le ring peut aussi accueillir l’écrivain et son fact checker. A ma droite, John D’Agata, auteur américain de récits fondés sur des faits réels mais qui se lisent comme de la fiction. En 2005, D’Agata confie à la revue The Believer un texte d’une vingtaine de pages inspiré du suicide, le 13 juillet 2002 à 18h01 précises, du jeune Levi Presley, un adolescent de Las Vegas. A ma gauche, Jim Fingal. Ce jeune fact checker débutant a été chargé par l’éditeur du Believer de vérifier les données factuelles apparaissant dans le texte remis par D’Agata. Une tâche dont Jim va s’acquitter avec une minutie frisant l’obsession, examinant à la loupe, pour ne pas dire au microscope, aussi bien la vraisemblance que la véracité de ce que D’Agata raconte.
Vérité ? Vraisemblance ? Entre la liberté créative de l’auteur et l’exigence pointilleuse du fouineur, un combat sans merci s’engage. Musclé, intrigant et souvent hilarant. Littéraire, psychologique, inégal pourrait-on croire (l’écrivain confirmé contre le jeune conscrit !), indécis en réalité, jusqu’au bout. Le dispositif même du livre, avec le texte original au centre de la page, et les commentaires-rappels à l’ordre autour, fonctionne à merveille. Quant aux questions — quelle route a prise exactement le jeune homme avant de se suicider ? le sol sur lequel il s’est écrasé était-il rouge ou brun ? et sa chute, de la tour d’un hôtel de Las Vegas, a-t-elle duré neuf ou huit secondes ?… —, elles nous entraînent dans un tourbillon jouissif sur le danger de raconter, quand il s’agit d’une histoire vraie. — Olivier Pascal-Moussellard
The Lifespan of a fact, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Henry Colomer, éd. Vies parallèles, 124 p., 20 €.
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