Purity

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Purity

Nul ne croira, bien entendu, qu'elle doit son suggestif prénom au simple hasard. Purity est l'un des personnages principaux autour desquels s'articule et prolifère l'intrigue de ce roman exaltant – le cinquième de l'Américain Jonathan Franzen. Pip est le surnom que chacun donne à Purity Tyler et, là encore, impossible de penser que c'est pure coïncidence si ce sobriquet emprunté au héros des Grandes Espérances de Dickens, sommet du roman d'apprentissage, se retrouve cent cinquante ans plus tard désigner une jeune Américaine d'aujourd'hui, végétant au seuil de l'âge adulte, lestée plus que portée par l'amour exclusif de Penelope, sa mère, fantasque et fauchée. L'identité de son père, Pip n'est jamais parvenue à la lui faire avouer, et peut-être la jeune femme ne chercherait-elle pas à en savoir davantage sur ce géniteur inconnu s'il ne lui apparaissait comme le seul recours pour parvenir à rembourser les cent trente mille dollars de l'emprunt qu'elle a contracté pour financer ses études.

Nonobstant ce mobile quelque peu prosaïque, la quête de Pip est l'étincelle qui met en branle la formidable machine romanesque de Jonathan Franzen. Entre les fils narratifs qui se ramifient, plongent dans le temps et voyagent à travers la planète, Pip assure le trait d'union. Dotée d'un cynisme et d'un sens de l'autodérision réjouissants, elle assume, qui plus est, la dimension ironique, parfois franchement drôle, de Purity – par ailleurs, une œuvre grave, et même un grand roman tragique, au sens que l'écrivain des Corrections donna naguère à ce terme : « N'importe quelle fiction qui soulève plus de questions qu'elle n'apporte de réponses : tout ce par quoi le conflit ne peut se résoudre en clichés (1). »

Les destins entrelacés des personnages exposent des oppositions silencieuses

De conflits, intimes ou collectifs et historiques, Purity est parcouru, creusé. Ces oppositions silencieuses ou âpres (féminin/masculin, amour/haine, innocence/corruption, transparence/secret, démocratie/totalitarisme…), les destins entrelacés des personnages les exposent, et la multiplicité des points de vue les fait miroiter – pulvérisant, effectivement, le risque du cliché, de la pensée binaire et simpliste. Aux côtés de Pip apparaissent donc deux autres personnages majeurs et de nombreux seconds rôles cruciaux. Tenons-nous-en aux premiers. Par ordre d'apparition dans l'histoire, voici d'abord Andreas Wolf, né en Allemagne de l'Est au temps du communisme, dans une famille d'apparatchiks, devenu quarante ans plus tard une sorte de Julian Assange, fondateur de Sunlight project, une « centrale de divulgation de secrets » basée en Bolivie. C'est en quittant la Californie pour rejoindre l'organisation d'Andreas Wolf que Pip commence son enquête, pensant profiter des moyens d'investigation de Sunlight project pour traquer son père inconnu. On retrouve ensuite Pip à Denver, travaillant avec Tom Aberant, un journaliste d'investigation à l'ancienne. Notons que Tom, aujourd'hui le compagnon de Leïla, journaliste elle aussi, vécut naguère une histoire d'amour avec une riche héritière prénommée Anabel, et que le récit qu'il fait à la première personne de son passé le relie à la jeunesse allemande et dissidente d'Andreas Wolf…

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Au cœur de la trame romanesque, un débat contemporain sur la transparence

Il serait délicat de dévoiler davantage les liens qui unissent, à travers les années, de façon directe ou oblique, ces individus et les personnages satellites qui gravitent autour de chacun. L'une des performances du roman de Jonathan Franzen est de parvenir à véritablement incarner, au cœur de la trame romanesque sophistiquée et décomplexée de Purity, à travers notamment l'opposition furieuse Tom/Andreas, c'est-à-dire journalisme/nouveaux médias, les termes contradictoires du débat contemporain sur la transparence, nécessité morale ou injonction délétère. Impératif totalitaire, suggère le romancier lorsqu'il trace subtilement des ponts assez éloquents entre la « démocratie populaire » est-allemande et un monde contemporain prétendument débarrassé de toute hypocrisie, de tout mensonge.

Car le secret est au principe de l'humain et du monde, affirme Jonathan Franzen – on songe à Malraux, au « misérable petit tas de secrets » dont il faisait la définition de l'homme… –, et la pureté morale, un fantasme potentiellement assassin. Et Franzen, pour le démontrer, de plonger dans les replis de la psyché de ses personnages, auscultant l'ambivalence consciente ou non de leurs sentiments (l'amour, la honte de soi, la culpabilité…), forant leurs mensonges, les mystifications et les lâchetés sur lesquelles sont bâties leurs existences. Nourrissant de leurs « vilains secrets » ce grand livre moral, ce beau roman impur.

ENTRER DANS L'HISTOIRE
Ce sont Les Corrections (2001) et Freedom (2010) qui ont imposé l'Américain Jonathan Franzen, 56 ans, comme un des grands romanciers de notre temps. Nous l'avions rencontré il y a cinq ans, alors que paraissait en France la traduction de Freedom . Ainsi nous expliquait-il sa façon d'associer, dans ses fictions, l'intime et le collectif, en donnant vie à des personnages tout en dressant un tableau d'époque : « Je me sens comme ces peintres de la Renaissance italienne qui accumulaient les détails dans le fond de leur toile, autour du portrait de l'individu qui en constituait le centre. Le décor, en l'occurrence la dimension sociale du roman, c'est quelque chose qui me vient facilement […]. Le plus difficile, c'est la quête de la dynamique juste pour parler des relations entre les personnages. La matière émotionnelle intime et profonde, voilà ce sur quoi se concentrent mon travail et mon attention. Mon objectif principal, lorsque j'écris, est en fait de donner forme à l'expérience qui est la mienne : être en vie à un moment historique particulier, dans un lieu particulier. Avec la foi et l'espoir que d'autres, vivant la même chose, seront heureux de ne pas se sentir seuls. »

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