Prends garde

Ajouter un commentaire

Prends garde

7 mars 1946 : des coups de feu sont tirés sur les paysans affamés rassemblés place de la mairie, à Andria, petite ville des Pouilles. La propriété des quatre sœurs Porro, d'où proviennent les tirs, est investie par la foule qui lynche deux d'entre elles. Cet épisode peu connu de l'histoire brouillonne de l'Italie d'après guerre est envisagé ici de deux façons. D'abord par Luciana Castellina, essayiste et figure de la gauche italienne. Elle relate les faits et rappelle la situation compliquée des Pouilles entre 1943, année du débarquement américain en Sicile et de la chute de Mussolini, et 1946, moment du référendum sur les institutions. S'emparant du même épisode historique dramatique, la romancière Mi­lena Agus dresse, elle, le décor intime des protagonistes.

Car elles sont romanesques, ces quatre sœurs Porro qui vivent isolées du monde et semblent tout droit sorties du xixe siècle. Elles sont riches mais vivent chichement, pieuses et pudibondes, célibataires pour trois d'entre elles, seulement occupées par le crochet et la broderie, affichant des mines solennelles quand elles vont à la messe et ne riant qu'en se cachant les lèvres de leurs mains. Les deux sœurs tuées par les paysans faméliques ne sont coupables de rien, sinon d'être propriétaires terriennes, dans cette région d'Italie submergée par tout ce que la guerre a vomi : déserteurs, démobilisés, Albanais ou Grecs échoués sur les côtes, toute une humanité détruite qui s'ajoute à l'extrême misère des paysans, tout cela dans un pays ­déserté par les pouvoirs politiques.

L'exercice tenté par Agus et Castellina, qui consiste à croiser les regards entre romancier et historien sur un même événement, est pleinement réussi : il ouvre les focales sur un fait divers qui devient alors un objet d'histoire, enrichi par une fiction qui en dessine les silhouettes oubliées.

Commandez le livre Prends garde

Laisser une réponse