Peleliu

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Peleliu

On ne saura pas quel dessein profond a poussé Jean Rolin à poser ses valises sur l’île de Peleliu — un morceau de corail perdu au coeur du Pacifique. Lui-même avoue, relatant quelque temps plus tard ce séjour qui eut lieu il y a tout juste un an, en février 2015, que les raisons de ce voyage « demeurent assez obscures » : « Inexplicablement, car ce n’était tout de même pas la première fois que je sortais de chez moi, je m’étais représenté cet archipel et cette île en particulier tels qu’ils devaient être à l’époque où Melville ou Stevenson auraient pu les visiter… » De fait, difficile d’imaginer lieu moins paradisiaque, moins pittoresque que celui-ci, tel que Jean Rolin entreprend d’en décliner, page après page, la description minutieuse, s’enfonçant toujours plus profondément au fil du récit dans ses paysages escarpés, ses ­ravins, ses jungles, ses innombrables grottes, et partout confronté aux vestiges — bunkers éventrés, carcasses de chasseurs Zéro, étuis de munitions, bouteilles vides et autres débris en tous genres… — de la terrible bataille entre forces américaines et japonaises dont Peleliu fut le théâtre à l’automne 1944.

C’est guidé par les récits des vétérans de la guerre du Pacifique que Jean Rolin arpente, sur son vélo (pas si tout-terrain que cela…), les routes et les chemins de l’île qui se dessine peu à peu sous nos yeux. Défigurée par les stigmates (des combats, mais aussi d’un ouragan survenu en 2012), cernée par la lancinante rumeur des brisants, grouillant d’une faune inoffensive mais d’aspect souvent anxiogène — des hirondelles qui ressemblent à des chauves-souris, des araignées préhistoriques, cinq pauvres chiots à l’agonie, des bernard-l’ermite qui évoquent spontanément à l’écrivain les « créatures infernales » de Jérôme Bosch, des oiseaux appelés wuuls dont le chant « évoque avec une particulière insistance quelque chose d’imparfaitement humain (quelque chose qui s’efforce vers l’humanité sans y parvenir tout à fait) »

Peleliu, décor déliquescent, champ de ruines réinvesti par la nature foisonnante, hanté par les fantômes des milliers de soldats américains et japonais qui vinrent y périr dans « un abîme de flammes », a raconté un des vétérans survivants. Peleliu, île sans grâce où Jean Rolin est venu poursuivre l’inlassable méditation tragi-comique sur la violence et la chute qui relie tous ses livres. — Nathalie Crom

 

Ed. P.O.L, 160 p., 14 €.

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