Palladium

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Palladium

Choisis par l’auteur avec sincérité, les exergues d’un roman en donnent si ce n’est une clé, du moins un présage. Au seuil de Palladium, premier roman de Boris Razon, voisinent Lewis Carroll et Homère — Alice captive du pays des merveilles et Ulysse au seuil du royaume d’Hadès, associés comme pour annoncer une épopée, une geste ample et tragique, de l’autre côté du miroir. Dans un monde de ténèbres où se voient repoussées les limites de l’expérience humaine ordinaire.

C’est bien cela, l’itinéraire sidérant et poignant que raconte Palladium. A l’origine de l’histoire, un mal mystérieux qui ébranle soudain un corps jusqu’alors triomphant, celui d’un homme de 30 ans. Un homme heureux, aimant la vie, les bains de mer, le soleil, la cigarette, car « fumer, c’était vivre, s’infliger soi-même du mal et en jouir ». Mais autrement pernicieux est le mal qui l’atteint et désormais le ronge, déchire son corps de douleur, l’asphyxie. Et finalement, en l’espace de quelques jours, le laisse perclus, inerte sur un lit d’hôpital, privé de respiration, de parole, de sensations. Un pur esprit, prisonnier de son enveloppe de peau insensible. Un homme — soit une intelligence, une mémoire, une âme, qui sait ? — avec « son corps pour sarcophage » : « La métamorphose avait eu raison de moi. Je m’étais presque entièrement éteint, maintenu en vie par trois tubes et un petit fil logé dans mon cerveau. Et maintenant, en cet instant, je revois ma famille et mon amoureuse ce jour-là […]. Je me disais : « Ils vont partir ou mes yeux vont se fermer. Bientôt je ne les verrai plus « … » En fait, c’est lui, l’homme immobile, qui s’en va.

Il embarque pour un voyage en solitaire auquel Boris Razon donne les allures d’un récit épique, un cauchemar infini, une fuite éperdue et un carnaval grand-guignolesque. Une descente aux enfers hallucinée, peuplée de dangers et de chimères, où s’emmêlent la rumeur du monde, des bribes de souvenirs et des visions d’épouvante, comme surgies des profondeurs intouchables de la psyché. Cela ressemble à une chute, à un chaos, une « guerre de tranchées » intime, mais c’est aussi un cheminement spirituel et littéraire, une forme d’initiation, qui passe par le dénuement, la confrontation avec le mal, la traversée des ténèbres. Une épreuve au terme de laquelle se réalise la « métamorphose » du narrateur : l’adieu à l’homme qu’il fut, et l’accueil de celui qu’il devient, cet autre lui-même : « C’était lui ou moi, lui et sa beauté solaire, sa joie de vivre, son plaisir débordant à fumer, à boire, à prendre ce qui était devant lui […] ; ou moi, boiteux, handicapé, insensible, perdu dans d’insondables abîmes… » — Nathalie Crom

 

Ed. Stock 474 p., 22 €.

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