OEuvres vives

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OEuvres vives

On ne connaissait pas Linda Lê aussi joueuse, semant son lecteur dans les rues du Havre sur les traces d’un écrivain imaginaire qui sans cesse se dérobe, depuis la mort qu’il s’est imposée par défenestration. L’esprit de François Truffaut règne dans les pages de ce livre en forme d’enquête policière, d’une facture très classique et d’une précision visuelle envoûtante. Est-ce le nom du suicidé, Antoine Sorel, qui résonne en boucle, comme celui d’Antoine Doinel face à son miroir de salle de bains ? Est-ce l’obsession du souvenir qui dicte au héros du roman une conduite de veilleur macabre digne de La Chambre verte ? Ou ce forage du passé d’un défunt qui semble rire outre-tombe comme L’Homme qui ­aimait les femmes ?

L’imparfait du récit donne une retenue languide à ce jeu de piste magnétique où chaque découverte confirme l’irrémédiable désagrégation de l’être. Peut-être Linda Lê a-t-elle voulu montrer qu’une telle enquête sur sa personne serait vaine. L’analyse de son écriture, ici beaucoup plus aérée, presque familière parfois, ne donnerait finalement aucun indice sur la composition de son travail, en évolution permanente, « œuvre vive », comme l’indique le titre, matière volatile et mouvante. Les passerelles avec sa bibliographie comme sa biographie sont nombreuses, mais suspendues dans le vide, offertes au bon vouloir réparateur du lecteur. Petit-fils de Vietnamien, l’écrivain disparu qu’elle traque dans ce roman apparaît comme l’incarnation du fils qu’elle confessait ne pas désirer engendrer dans le magnifique A l’enfant que je n’aurai pas. Il incarne aussi tous les écrivains qui ont compté dans sa vie, ces anges gardiens auxquels elle ne cesse de rendre hommage dans des livres parallèles indispensables.

Publié en même temps, Par ailleurs (exils) (1) est l’un de ces magnifiques tombeaux érigés aux soldats méconnus qui se sont battus pour une littérature de secours : Benjamin Fondane, Alejandra Pizarnik, Cioran, Marina Tsvetaeva, Panaït Istrati, Gombrowicz… Et Thomas Bernhard, sur qui Linda Lê écrit qu’« il est difficile de le lire sans nous préparer à subir une secousse aussi foudroyante que salutaire ». Comment ne pas lui renvoyer le compliment et l’assurer de notre reconnaissance d’être éternellement goûteuse et guetteuse ?

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