OEuvres romanesques

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OEuvres romanesques

Comme dans un de ses romans, où le fait divers s’entremêle à la fiction, Mario Vargas Llosa est l’objet d’une double actualité. La plus récente, qui sera sans doute la plus éphémère après les explications qu’il a données vendredi 8 avril, est que son nom apparaît sur la liste des Panama Papers. La seconde, plus solide, concerne sa qualité d’homme de lettres, Prix Nobel de littérature en 2010 : l’écrivain péruvien est le premier auteur étranger vivant à entrer dans la prestigieuse collection la Pléiade. Deux volumes qui réunissent huit romans ­parus entre 1963 et 2006, soit la moitié de sa production littéraire.

Si le tome I s’ouvre avec La Ville et les Chiens, c’est pour respecter l’ordre chronologique : un roman de formation, son premier, commencé à l’âge de 22 ans, en 1958, et achevé quand il séjournait à Paris, en 1961. Roman touffu dans lequel le jeune homme voulait déjà agencer éléments autobiographiques et travail de fiction : son internat dans un collège militaire, des dialogues rapides et tranchants, la violence de la ségrégation sociale et celle qui voit s’affronter les élèves de différentes années, les plus jeunes subissant les bizutages des anciens. Dès La Maison verte (1965), le romancier prend de l’ampleur, injecte là encore des souvenirs mais rassemble aussi deux récits au départ disjoints : le sort des gamines indiennes des tribus Aguarunas et Huambisas en Amazonie, élevées par une mission catholique puis, une fois instruites, lâchées dans les villes où elles se perdent ; et la vie de la cité, ici Piura, où a vécu Vargas Llosa adolescent. Une ville cinglée par le vent descendu de la Cordillère et scindée entre les beaux quartiers et celui, pauvre, de la Mangacheria. Mais tous les Piurans peuvent se retrouver dans la Maison verte, ce bordel où les plaisirs à la fois rances et joyeux sont disponibles.

Ces deux premiers romans annoncent la structure des suivants. Mario Vargas Llosa écrit souvent à partir de ce qu’il a connu, mais en tordant ce vécu, en le réinventant, autant par le jeu évident de la mémoire, vive ou capricieuse, que par volonté de donner à l’écriture romanesque toute la liberté dont elle doit pouvoir se prévaloir. Depuis soixante ans, tout a été dit sur le romancier : ses références littéraires puisées chez Flaubert, Dumas, Hugo ou Sartre, ses appartenances et positions politiques. Et il semble avoir expérimenté tous les registres, historique (Le Paradis — un peu plus loin), politique (La Fête au bouc, sur la dictature militaire de Rafael Leónidas Trujillo Molina) et même policier avec Qui a tué Palomino Molero.

« Ce n’est pas un homme mais une industrie », dit, dans La Tante Julia et le Scribouillard, le personnage de Pedro Camacho, auteur de feuilletons radiophoniques à succès. Vargas Llosa, lui, retaillant toujours ses manuscrits, procède plutôt de l’artisanat méthodique et scrupuleux. Dans tous ses livres, la violence des relations humaines, l’érotisme, la truculence emportent les multiples personnages dans la « symphonie des points de vue » qu’il affectionne tant chez Faulkner. Putains, salopards et lourdauds, péons et militaires, mendiants et marchands composent une humanité vivante, heurtée ou déchirée par les conventions sociales et les institutions politiques. La verve et la loufoquerie peuvent soudainement se teinter de tragique — comme dans La Tante Julia et le Scribouillard, à cet instant où la découverte d’un jeune Noir apeuré et le corps couvert de cicatrices va poser un cas de conscience aux policiers. Mais toujours, dans les demeures délabrées ou les beaux hôtels blanchis à la chaux, dans les can­tinas ou les bureaux, hommes et femmes s’agrippent à la vie comme à un radeau. Ils sont les songes et les souvenirs d’un fabuleux romancier qui ne veut leur laisser aucun répit. — Gilles Heuré

 

Edition dirigée par Stéphane Michaud, avec la collaboration d’Albert Bensoussan, Anne-Marie Casès, Anne Picard et Ina Salazar, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 2 volumes, 1952 p. et 1920 p., 65 € chacun jusqu’au 31/12/2016, et 72,50 € ensuite.

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