OEuvres complètes

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OEuvres complètes

Alors que le symboliste Huysmans, récemment ressuscité par Michel Houellebecq dans Soumission, le décrétait dans A rebours (1884) « l’un des plus terribles cuistres, l’un des plus sinistres raseurs que l’Antiquité ait produits », Paul Claudel, quelques décennies après, en faisait « le plus grand génie que la terre ait jamais porté ». Mais qui se soucie encore du poète latin (70 av. J.-C.-19 av. J.-C.) qui inspira encore Racine et Hugo, émerveilla de sa délicatesse lumineuse nos versions ­latines de lycéenne mémoire ? De l’homme né près de Mantoue, grand, timide et au visage de paysan, on sait peu. Si ce n’est que sa culture — littéraire, mythologique, philosophique comme scientifique, historique, politique — était immense. Si ce n’est qu’il fut proche de l’empereur Auguste, soutenu par le riche Mécène et périt d’une insolation après avoir voulu vérifier en Grèce quelques descriptions de cette Enéide dont il lui avait fallu onze ans pour composer les dix mille vers, sans hélas la terminer tout à fait. On dit encore qu’avant de mourir il rédigea pour son tombeau une épitaphe modeste et sublime à la fois — « J’ai chanté les pâturages, les campagnes, les héros… » —, et exigea qu’on brûle l’Enéide inachevée. Le poète si subtilement musical était un absolu perfectionniste. Trois ans pour écrire les Bucoliques, poésie champêtre sur fond (très inquiétant) de guerre civile. Sept pour les Géorgiques, chant délicieusement didactique sur le bienvenu retour à la terre, la science de l’agriculture et de l’élevage. Onze donc pour l’épopée d’Enée, cet héroïque prince troyen réchappé de l’anéantissement de sa ville par les Grecs, impitoyable séducteur de la Carthaginoise Didon et futur bâtisseur de Rome. Bien sûr l’empereur Auguste s’opposa à l’autodafé de ce chant épique, fondateur de la nation romaine. Si l’érudit Virgile s’est inspiré de l’Iliade et de l’Odyssée d’Homère, qu’il vénérait, si Enée a des allures de son ennemi Ulysse, le récit en douze livres à la fois furieux, romantiques, brutaux et mélancoliques vise à une généreuse réconciliation. Derrière ses finesses stylistiques, ses prouesses rhétoriques, Virgile est étonnamment engagé, soucieux de promouvoir la paix dans une époque de rivalités politiques sanglantes. De tous ses vers, il cherche à transcender la violence du quotidien et à l’illuminer de la fragilité rédemptrice de certains instants. Sa poésie est celle du possible et salvateur surgissement. Pour les symboliser, il évoque l’arbre et le temple. Là où tout frémit, pousse et s’élève ; là où l’on accueille les dieux. N’annonce-t-il pas dans les Bucoliques la naissance du Christ ? Le poète était visionnaire. Passionné par l’histoire et le destin des hommes, passionné par l’aventure de leurs âmes. Dût le bel Enée traverser les Enfers… — Fabienne Pascaud

 

Ed. Gallimard latin-français, établie et traduite par J. Dion, P. Heuzé et A. Michel, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1 488 p., 59 € jusqu’au 31/12/2015, 68 € ensuite.

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