Mourir de penser

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Mourir de penser

L’une des beautés de Dernier Royaume, l’un des bonheurs troublants pour ­celui qui en entreprend la lecture ­tiennent au fait qu’on ne sait identifier avec certitude ce qui, dans ce matériau tissé de contes, de mythologie, de réminiscences littéraires, de méditation, d’hypothèses…, relève de l’érudition, de l’intuition, du rêve, de l’invention. C’est instable, souvent euphorisant. Inconfortable aussi, parfois. Mais c’est ainsi. Alors, aborder Pascal Quignard comme un philosophe ou un théoricien, ou disons un écrivain savant, n’est certainement pas la meilleure manière d’accéder à son oeuvre. Même si la tentation existe peut-être, et tout particulièrement au seuil de ce Mourir de penser, neuvième volume de ce si vaste ensem­ble (1) , a priori moins accueillant, plus âpre que les opus précédents — sauf à se laisser porter par le souffle, la musique, les images qui surgissent tandis que se déroule le poème.

« La pensée, écrit Pascal Quignard, caractérise, chez les hommes, des survivants parmi les vivants. […] Les penseurs — ces survivants — sont ceux qui éprouvent le besoin de tout reprendre à zéro pour comprendre ce qu’ils ont ­vécu. » Dans Mourir de penser, on ­retrouve ainsi les motifs, les interrogations, les lignes de force éternelles de l’auteur de Vie secrète. L’interrogation sur l’homme — « animal sans genre, inhumain, sans essence, sans destin » —, sur la place de l’individu dans le groupe. Sur l’origine, le corps, l’animalité. Sur « l’épreuve de l’originaire » qu’est la naissance, sur les savoirs dont l’homme se défait à cet instant où il entre dans le monde, perte qui jamais ne sera pansée, calmée : « Le Dernier royaume est ce singulier pays où la nudité animale et la langue culturelle se touchent perpétuellement sans jamais pouvoir s’assembler. » — Nathalie Crom

 

(1) Pascal Quignard a décidé d’intégrer dans Dernier Royaume son essai Vie secrète, paru en 1998, quatre ans avant la publication du premier volume de la série, Les Ombres errantes, prix Goncourt 2002.

 

Ed. Grasset 240 p., 18 €.

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