Mémoires

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Mémoires

Ils incarnent, depuis près d’un demi-siècle, le refus de l’oubli. Ils personnifient le combat pour la mémoire et la justice. Ce n’est pas par goût, cédant au narcissisme ou à la vanité, que Beate et Serge Klarsfeld sont devenus des figures médiatiques planétaires, des icônes, mais par pragmatisme pur et simple : il fallait attirer et retenir l’attention, marquer les esprits. Faire savoir au monde que les anciens bourreaux du IIIe Reich n’avaient pas tous été jugés pour leurs crimes, et que cela n’était pas moralement tolérable. Dans leurs passionnants Mémoires à quatre mains, qui paraissent aujour­d’hui, c’est en activistes portés par un dessein exceptionnel que se présentent Beate et Serge Klarsfeld. Tout ensemble militants et artisans, minutieux et téméraires, opiniâtres et formidablement réalistes. « Beate est la femme dont je rêvais, capable de se transcender et de m’élever au-dessus de moi-même malgré mes défauts », écrit Serge Klarsfeld, se remémorant les premiers instants de leur relation. C’était au printemps 1960, la jeune fille au pair allemande, fille d’un modeste employé d’assurances enrôlé dans la Wehrmacht en 1939, et l’étudiant à Sciences-Po, né dans une famille juive d’origine roumaine et dont le père n’est pas revenu d’Auschwitz, se sont rencontrés sur un quai de métro, à ­Paris. Mariés trois ans plus tard, ils ­envisageaient une vie « rangée, stable ». Mais une exigence et une urgence se sont imposées à eux, et ont bouleversé leurs sages plans.

C’est en 1966, alors qu’il visite Birkenau où son père a été déporté et assassiné, que Serge Klarsfeld a la « révélation » qui va décider de ce que sera sa vie : « J’y ai éprouvé la certitude que mon destin aurait dû se terminer là, que l’immense souffrance du peuple juif assas­siné n’avait pas été apaisée par la fuite du temps. » Beate, de son côté, ne peut supporter que l’ancien nazi Kurt Kiesinger ait accédé au poste de Chancelier et dirige désormais l’Allemagne de l’Ouest. Elle se souvient du sacrifice de Hans et Sophie Scholl, les jeunes résistants allemands au nazisme du réseau La Rose blanche, et décide de s’engager, publiant des articles indignés dans Combat et, le 7 novembre 1968, giflant Kiesinger en public lors d’un congrès chrétien-démocrate à Berlin — c’est le premier de leurs coups d’éclat.

L’intelligente construction de ces Mémoires, donnant alternativement la parole à l’un et à l’autre, préserve d’heureuse façon la voix et la person­nalité de chacun. Pourtant, sur plus de six cents pages, souvent captivantes, arides parfois à force de nécessaire précision, c’est bel et bien plus de quarante ans d’un combat commun et complice qui défilent. Consultation inlassable d’archives, actions sur le terrain, pressions constantes et concomitantes sur l’opinion publique, les médias, la justice, les autorités politiques. Les nazis Klaus Barbie, Walter Rauff, Kurt Lischka, puis les hauts fonctionnaires français Maurice Papon, Paul Touvier et René Bousquet sont quelques-uns des criminels qu’ils ont chassés, parfois des décennies durant. Des traques ­obstinées, méticuleuses, ici racontées avec une froide passion.

Leur combat a revêtu une autre forme, non moins essentielle : Serge et Beate Klarsfeld se sont employés à dresser, en mémoire des victimes de la Shoah en France, l’admirable tombeau symbolique qu’est le Mémorial de la déportation des Juifs de France — 75 721 victimes y figurent à ce jour. Au lendemain de la première publication, en 1978, Vladimir Jankélévitch écrivait, dans Le Nouvel Observateur : « Serge Klarsfeld a compris que les grands mots resteraient toujours en deçà de l’horreur, que notre indignation, si naturelle pourtant, ne saurait être à la mesure du gigantesque massacre. Il a donc choisi l’objectivité et la terrifiante précision des énumérations et des statistiques, sachant que cette précision et cette objectivité étaient en elles-mêmes le plus implacable des réquisitoires. » — Nathalie Crom

 

Coéd. Fayard-Flammarion, 688 p., 26 €.

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