Manuel d’Amérique

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Manuel d’Amérique

« He is America » (Il est l’Amérique), proclamait Ezra Pound à propos de son aîné Walt Whitman (1819-1892), fondateur de la poésie américaine moderne. « C’est toi qui as coupé le bois nouveau/Il est temps maintenant de sculpter », écrit Pound en 1916 dans son poème « Pact », pour signifier la ­filiation avec son aîné. Quelques décennies plus tard, au mitan des années 1950, c’est Allen Ginsberg qui, au nom de la Beat generation, lui rendra hommage dans « Un supermarché en Californie » (« Quelles pensées j’ai de toi ce soir, Walt Whitman… »).

Ce « bois nouveau » qu’évoquait Pound et dont dispose, pour son propre travail, l’écrivain américain du xxe siècle, c’est l’océan verbal phénoménal de Feuilles d’herbe, le grand livre emphatique et en vers libres de Whitman, qui en donna une première édition en 1855, continuant ensuite d’y oeuvrer, de le prolonger, de l’augmenter jusqu’à la fin de sa vie — jusqu’à en proposer, en 1891-1892, une septième et ultime version connue comme l’« édition du lit de mort » (1) . Dès 1855, dans le poème « Chant de moi-même », Whitman revendiquait l’Amérique comme tout ensemble son terreau, son motif, et un défi posé à la langue anglaise de se réinventer de ce côté-ci de l’Atlantique où il était né : « Ma langue, l’ensemble des atomes de mon sang, façonnés par le sol d’ici même, l’air d’ici même,/Ma naissance, ici même, de parents eux-mêmes nés ici comme les parents de leurs parents avant eux,/Trente-sept ans ce jour, santé parfaite, je commence/Comptant bien ne plus m’interrompre avant la mort. »

Le présent Manuel d’Amérique rassemble des textes théoriques, articles et préfaces aux multiples éditions de Feuilles d’herbe, écrits par Walt Whitman tout au long de sa vie, simulta­nément à la poésie. S’y articulent, de façon audacieuse, généreuse, répétitive et informelle, parfois brouillonne à force de ferveur prophétique, ses réflexions sur la langue, l’histoire de la jeune nation américaine, son territoire et son identité, le poète comme aède, sur la démocratie et la Nature… « A l’instar du système sympathique pour le conglomérat des os, des articulations, du coeur, des fluides, du système nerveux et de la vie nerveuse qui forment une personne (mieux, une âme immortelle) et la propulsent dans le temps et l’espace, une telle relation, rien de moins, lie la poésie authentique à une personnalité unique et une nation », soutient l’écrivain dans le plus célèbre parmi ces essais, Perspectives démocratiques, paru en 1871.

Un texte dont Eric Athenot prévient, dans la préface qu’il donne au recueil : « Davantage qu’un traité de science politique, ce texte doit se comprendre et se goûter comme un manifeste poétique, comme l’expression, parfois maladroite parce qu’aveuglée par un poignant mélange de confiance démesurée et d’angoisse viscérale, d’un idéal impossible » : l’érection « du poétique en valeur absolue », véritable fondement de l’identité morale et spirituelle des Etats-Unis, ciment de leur unité, moteur de leur irrésistible gloire future. « Quelle époque ! Quel pays !, y écrit encore Whitman. Où, sinon ici, en est-il de plus grand ? L’individualité d’une nation doit donc, comme toujours, mener le monde. Peut-on hésiter un seul instant sur l’identité de ce meneur ? Ayez à ­l’esprit, cependant, que seule l’ÂME la plus puissante, originale et non soumise, a jamais conduit auréolée de gloire et saurait jamais conduire (Cette âme a pour autre nom, dans ces Perspectives, LITTÉRATURE). » — Nathalie Crom

 

(1) Les éditions José Corti ont publié en 2008 la traduction de l’édition de 1855 ; l’édition intégrale est disponible dans la collection Poésie/Gallimard, dans une traduction de Jacques Darras.

 

An American Primer, traduit de l’anglais (Etats-Unis) et préfacé par Eric Athenot, éd. José Corti, 240 p., 23 €.

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