Maintenant ou jamais

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Maintenant ou jamais

« Il y a vingt-cinq ans que les Ships ont fait naufrage. Un quart de siècle. Reposez en paix », note Robbie Goulding sur la page blanche, avec une ironie vaguement teintée d’amertume. Robbie Goulding aborde la cinquantaine alors qu’il rédige ses Mémoires. Se concentrant sur cinq années de son existence : 1982-1987, soit le bref épisode de Ships in the night, le groupe de rock dont il était jadis le guitariste. Depuis Longfellow et les poèmes de Tales of a Wayside Inn, l’expression anglaise « ships passing in the night » (des vaisseaux passant dans la nuit) évoque les rencontres dont il ne reste rien. Qu’avaient-ils en tête, ces jeunes gens des années 1980, en donnant pour nom à leur quatuor cette image cafardeuse ? L’intuition de ce « naufrage » qu’évoque Robbie Goulding, vingt-cinq ans plus tard ?

Huitième roman de l’Irlandais Joseph O’Connor, Maintenant ou jamais s’offre à lire comme l’ouvrage autobiographique de Robbie Goulding : un récit à la première personne, l’excursion d’un homme vers son passé, vers la ­parenthèse de quelques années qui fut l’acmé de son existence. Fils d’immigrés irlandais de fraîche date, garçon attachant, doux et velléitaire, Robbie sortait tout juste de l’adolescence, vivait avec ses parents et son frère Shay à Luton, autant dire nulle part, quand il fit la connaissance de Fran — le même âge que Robbie, disons 18 ans, et par ailleurs son exact contraire, un garçon, lui, d’origine vietnamienne, extraverti et fantasque, « beau et maigre […] une écharpe d’organza déchirée autour du cou par un matin frisquet, un bonnet à la Judy Garland sur la tête ». La violoncelliste Trez et son frère Soan se joindront bientôt à eux deux pour former les Ships in the night, dont le roman ­raconte l’ascension fulgurante et la chute, non moins foudroyante.

Par l’entremise de son narrateur — dont le récit s’interrompt parfois pour accueillir les voix des trois autres protagonistes —, Joseph O’Connor dépeint cette trajectoire du groupe rock, les ­années 1980 qui en sont le décor musical et sociétal, les ressorts du processus interne d’implosion du quatuor avec une telle précision captivante, un réalisme si minutieux qu’on en oublierait presque le caractère purement romanesque de Maintenant ou jamais. Cette dimension fictionnelle s’impose dans le dernier quart du livre, où l’on quitte le passé pour atterrir de plain-pied dans le présent de Robbie : ses regrets, son chagrin, tout ce qu’il n’a pas compris et qui depuis un quart de siècle le leste et en fait cet homme navré. Dont les Mémoires s’avèrent parsemés de non-dits, troués de silences, comme par excès de pudeur ou de douleur.

C’est alors que Maintenant ou jamais prend sa vraie dimension de grand roman mélancolique, et que s’impose définitivement le grand talent de Joseph O’Connor : une formidable capacité d’empathie, une infinie justesse du regard. Une capacité à ­ausculter au plus près l’humain, ses ­désarrois ordinaires, ses défaites — à l’exemple d’un Tchekhov, ou d’un ­Carver. — Nathalie Crom

 

The Thrill of it all, traduit de l’anglais (Irlande) par Carine Chichereau, éd. Phébus, 400 p., 23 €.

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