Madame

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Madame

Eté comme hiver, Madame porte une drôle de robe, hors mode, hors d’âge, un grand sac à charbon plein de poches pour affronter toutes les situations, une combinaison de survie qui fait fi des modes et des regards. Solide et altier, simple et travaillé, le roman de Jean-Marie Chevrier ressemble à ce curieux habit. On y entre comme on revêtirait une tenue monacale, conquis corps et âme par la vie cloîtrée qui nous est proposée, derrière les murs d’un château en décrépitude. Madame y vit seule, avec ses fantômes, sa servante en voie de décomposition et un invité régulier dont elle ne peut se passer : Guillaume, alias Willy, 14 ans, inconscient de ses charmes, conscient de ses ignorances. Fils de fermiers qui cultivent les terres de Madame, l’adolescent prend des cours particuliers chez la châtelaine, d’orthographe, d’algèbre, et de tant d’autres choses qu’il engrange en tête à tête, dans la fumée de tabac brun et les effluves de vin rouge.

Quand se passe ce huis clos ? Ce pourrait être au Moyen Age ou au temps de Diderot. La présence d’une télévision, une marque de cigarettes, une enseigne de magasin de sport indiquent que ce petit faune et cette femme à « l’allure d’arbre mort » nous sont contemporains. Voilà le premier tour de force de ce livre sec, qui se laisse ­lentement irriguer par les larmes que les personnages ont trop longtemps contenues : Jean-Marie Chevrier a créé un univers féerique hors du temps, macabre et luminescent, version inversée de La Belle et la Bête où l’emprisonnement devient délivrance.

Entre la vie et la mort, son écriture capte les vibrations de machines humaines qui tressautent, s’emballent, s’accrochent, mais refusent de s’éteindre. Atemporelle et suspendue, l’histoire de ce duo que tout sépare (les années, l’éducation, les espérances) ne tient qu’à un fil : la lutte pour la survie. Ne pas bouger, ne pas changer, tout en grandissant intérieurement, tel est le motif de leur venue au monde. En apnée dans un environnement qui se remplit les poumons à leur place (« Le pays est humide. Il respire fort »), Madame et Willy finissent par avoir le même âge mental, celui des créatures qui se croient immortelles, mais qui sont tout simplement libres. Jean-Marie Chevrier révèle peu à peu les secrets de leur fusion, dans un récit au cordeau, au plus près d’une campagne marécageuse, immobile et fragile, où les bouleaux se desquament, où les escargots manquent de périr sous les pas des hommes et les ­ragondins sous les coups de fusils. Une nature en miroir où se reflètent à l’infini les vies humaines qui ne sont que répétitions les unes des autres. — Marine Landrot

 

Ed. Albin Michel 200 p., 16 €.

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