Ma vie avec Virginia

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Ma vie avec Virginia

« Elle est la seule personne que j’ai connue intimement et dont je peux dire qu’elle méritait l’appellation de génie », note Leonard Woolf dans le troisième volume de son autobiographie — d’amples Mémoires en cinq tomes qu’il écrivit dans les années 1960 et au sein desquels la traductrice Micha ­Venaille a soigneusement choisi des fragments afin de composer ce récit, littéralement (et très finement) cousu, centré sur Virginia, sa personnalité, son travail, le quotidien partagé du couple durant trente ans. Lui, Leonard Woolf (1880-1969), était un intellectuel athée d’ascendance juive, anticolonialiste et engagé au Labour — un homme au caractère intègre, doté du « profil d’un prophète de l’Ancien Testament », observait avec justesse son neveu Cecil. Elle, née Virginia Stephen (1882-1941), « avait tous les critères d’une très belle femme », la décrit son époux tandis qu’il retrace les débuts de leur relation, en 1911. Précisant : « Dès qu’elle se montrait insouciante, heureuse, détendue, excitée, son visage s’éclairait, et apparaissait alors une beauté éthérée extrêmement intense. […] Son expression, la forme de son ­visage changeaient avec une rapidité inouïe dès que se faisait sentir une tension, un souci, une inquiétude. Et là encore, elle était superbe, mais son anxiété et sa souffrance rendaient sa beauté douloureuse à observer. »

Qu’on se rassure, cette Vie avec Virginia ne relève ni de l’hagiographie, ni de l’exercice de piété conjugale. Non plus que de la confession — ainsi, on n’y trouvera rien sur l’homosexualité et les amours parallèles de l’écrivaine. Le solide Leonard Woolf ne fut pas un époux morganatique, mais l’indé­fectible, attentif et amoureux compagnon de vie et de travail d’une créatrice immense (1) et vulnérable dont il s’employa à être l’étançon. « Si quel­qu’un avait pu me sauver, cela aurait été toi », lui écrivit Virginia, avant d’aller se noyer dans la Ouse River, le 28 mars 1941. Dans le récit de Leonard, outre leurs activités communes à la Hogarth Press, leurs amitiés au sein et hors du groupe de Bloomsbury, l’interrogation sur le lien entre « la maladie de Virginia » — une forme de « neurasténie », diagnostiquaient les médecins, quand lui pressentait une psychose maniaco-dépressive — et son génie est centrale.

Sa créativité et son instabilité mentale provenaient, écrit-il, « du même endroit dans son cerveau » : « Elle avait une conversation très brillante, un esprit vif, intelligent, de l’humour […]. Mais il ­arrivait assez souvent qu’elle  »décolle » au cours d’une conversation entre amis ou en tête à tête, et se lance dans une description fantastique, éblouissante, amusante, lyrique d’un événement, d’un lieu, d’une personne. Cela m’a parfois fait penser à ces ruisseaux qui ­débordent après une pluie violente ­d’automne. Il ne s’agissait plus d’un processus mental ordinaire, ce qui le remplaçait était un torrent de créativité et d’imagination qui l’emportait, et nous avec, dans un autre monde… » — Nathalie Crom

 

(1) De Virginia Woolf viennent de paraître Un lieu à soi, nouvelle traduction par Marie Darrieussecq de A room of one’s own, connu jusqu’à ce jour sous le titre français Une chambre à soi (éd. Empreinte/Denoël).

 

Composé et traduit de l’anglais par Micha Venaille, éd. Les Belles Lettres, 158 p., 13,50 €.

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