Lune l’envers

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Lune l’envers

Ce qu’il y a d’incomparable chez Blutch, c’est son art d’escamoter les repères pour mieux entraîner le lecteur dans une histoire aléatoire, fantasmée autant que racontée. Il faut le croire sur parole, quand il déclare : « Mon opinion au sujet de mes personnages et de leurs actes est confuse » (1) . C’est le contraire d’une posture, l’aveu d’un doute auquel il se soumet, en passant à l’acte avec une paradoxale intrépidité. Son héros, Lantz, auteur du Nouveau Nouveau Testament, une célébrissime série dessinée, paralysé par une abyssale crise d’inspiration doublée d’une angoisse montante face au vieillissement, est bientôt livré aux représailles de la toute-puissante multinationale qui l’emploie.

Ce supposé double de l’auteur n’est qu’un leurre, une fausse piste autobiographique pour une fiction censée se dérouler dans un futur indéterminé, où la décrépitude navrée de ce Lantz-là se télescope avec l’insolence capricieuse de l’enfant gâté qu’il fut à ses ­débuts ; où la craquante Liebling (« Chérie » en allemand), sa conquête d’alors, est, elle, dispensée des ravages de l’âge ; où une machine aux allures de magma informe se pilote à l’aveugle pour fabriquer des images à la chaîne ; où… Blutch, en fait, progresse en une volée de coqs-à-l’âne et de court-circuits qui font disjoncter la réalité.

Dopée au graphisme à la fois délié et percutant d’un dessinateur virtuose entre tous, l’évocation de cet outre-monde apparaît éminemment « blutchienne » : tout en ruptures de tons et d’intentions, cocasse et inquiétante, onirique et hyperréaliste, sensuelle et brutale… Blutch suggère d’y voir un reflet distordu mais plausible de notre propre monde, « celui des animaux humains » (1) . C’est ce qui fait aussi le prix de ce voyage fantastique dans tous les sens du terme.

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