L’Un l’autre

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L’Un l’autre

Pas de virgule entre l’un et l’autre du titre. Juste un blanc, un espace. Un sas pour lui. Une béance pour elle. C’est Thomas qui a imposé cette distance. Un soir, il s’est l aissé glisser hors du jardin, pendant qu’Astrid disait bonsoir aux enfants. Comme elle s’est couchée la première, elle ne s’est pas rendu compte de ce départ nocturne, de cette fugue majeure, de ce glissement dans une autre dimension qui s’appelle tout plaquer. Quand elle se réveille, son mari est déjà loin sur la route, où il marche silencieusement. Ne comptez pas sur Peter Stamm pour donner une explication psychologique à cet acte radical. Ni pour s’immiscer dans les pensées inquiètes de l’épouse abandonnée. Armé de cette écriture blanche, enveloppante à force d’être résolument extérieure, l’auteur suisse allemand creuse son sillon de prédilection, devenu crevasse au fil de ses romans : la fuite. Celui qui confesse n’écrire que pour répondre à la question « comment vivre dans le vide ? » n’aime rien tant que les mots qui lévitent, les phrases qui planent, les chapitres qui regardent les personnages s’éloigner de la réalité, à perte de vue. Les apparences le passionnent, les mouvements et les gestes, les trajets où l’on se déploie, les pauses où l’on se recroqueville. Il met le lecteur en possession de tous les éléments, ne fait aucun mystère sur les agissements parallèles d’Astrid et de Thomas. Son couple de héros avance avec les mêmes munitions, une page ou deux pour l’un, une page ou deux pour l’autre. Comme dans un film de Michael Haneke, la douleur asphyxiante les rend sensibles à tout ce qui leur échappait auparavant : le temps égrenant cruellement ses secondes, la nature ne demandant qu’à servir de refuge, la société lancée dans sa destruction de l’espèce humaine. D’une douceur trompeuse, ce roman est un conte métaphysique captivant. — Marine Landrot

 

Weit über das land, traduit de l’allemand par Pierre Deshusses, éd. Christian Bourgois, 176 p., 17 €.

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