L’Oubli

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L’Oubli

Un signe qui ne trompe pas : on referme ce livre avec le besoin de le serrer entre ses mains, d’en faire défiler à nouveau les pages en accéléré, pour se les remémorer à jamais. Un livre sur l’oubli qui marque à ce point, le paradoxe est frappant, mais Frederika Amalia Finkel­stein ne cherche pas un tel fait d’armes. A 23 ans, cette étudiante en philosophie signe un premier roman remarquable de distance, de maîtrise, de froideur presque, mais une froideur qui brûle l’esprit. Elle parle à la première personne, à peine cachée derrière le prénom double de son héroïne, Alma Dorothea, qui sillonne Paris, de nuit comme de jour, du Daft Punk dans les oreilles, du Coca-Cola dans le gosier, des donuts à paillettes dans l’estomac.

Légère et insouciante blondinette, pur produit de la société de consommation ? Pas vraiment. Son cerveau turbine, alimenté par toutes les pensées envolées, inachevées, violentées, exterminées que l’humanité a laissées en déshérence depuis la Shoah. Quand elle cherche le sommeil, Alma D. ne parvient pas à chasser de son esprit les images des déportés dans les chambres à gaz. Quand elle tue le temps dans la journée, elle est paralysée par l’inexorable absence de réponses aux questions essentielles sur les raisons de l’extermination des Juifs d’Europe. Nuit et barbarie, jour et brouillard, son existence oscille entre ces pôles où il ne fait jamais bon vivre. Comment la banalité du mal a-t-elle produit la banalité du vide ? Comment l’atrocité de la réalité a-t-elle engendré l’inconsistance du virtuel ?

Entre essai et fiction, ce livre déroule une réflexion élévatrice, implacable, sur les odieuses réminiscences de la folie hitlérienne, à l’abri d’une architecture littéraire très aérée, avec des éclairs éblouissants, comme cette scène où l’héroïne tue son chien, dans un détachement poétique et irréel. En équilibre parfait entre l’intime et l’universel, Frederika Amalia Finkel­stein ne prétend rien savoir, rien démontrer. D’où vient que les limites contre lesquelles elle dit buter semblent des promontoires pour voir plus loin ? De son extrême intelligence, nourrissante, au-dessus de la mêlée, qu’on espère voir démultipliée dans d’autres livres à venir. — M.L.

 

Ed. Gallimard/L’Arpenteur 174 p., 16,90 € En librairie le 28/8.

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