Lila

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Lila

C'est loin du goût du jour esthétique et de ses sautes d'humeur, au mépris aussi des thématiques et des motifs dictés par l'air du temps, que s'élabore l'oeuvre romanesque de l'Américaine Marilynne Robinson (née en 1943). Hors même des habitudes chronologiques, pourrait-on dire, puisque auteur, en 1980, d'un premier roman acclamé – The Housekeeping, traduit en français en 1983 sous le titre La Maison de Noé –, Marilynne Robinson s'est tue durant près de vingt-cinq ans, se consacrant à l'enseignement, à la critique, avant de faire paraître, en 2004, sous le titre Gilead (1), une nouvelle fiction qui, au fil des années, s'est avérée être le premier volet d'un triptyque dans lequel se sont inscrits ensuite Chez nous (Home, 2008) et le présent Lila (2014). Une trilogie donc, mais pas au sens narratif et convenu du terme, puisque si ces trois romans sont intimement reliés, ancrés dans un même lieu et convoquant tour à tour sur la scène la même galerie de personnages, ce n'est pas un récit qu'ils tracent, encore moins une chronique ou une saga, mais plutôt un climat qu'ils composent, une réflexion qu'ils prolongent, une compréhension qu'ils lestent et ramifient.

Le nom même de Gilead, drapé de résonances bibliques, laisse intuitivement deviner le dessein méditatif et métaphysique du geste romanesque de Marilynne Robinson : interroger, par le biais de la fiction, l'essence de l'expérience humaine, l'énigme de l'être-au-monde, objet d'une spéculation qui puise davantage à la rigueur astringente, voire austère, de la théologie qu'aux exaltations confuses de la mystique. Gilead, donc, petite ville ordinaire de l'Iowa, à deux pas du Kansas, bourgade comme il en existe des centaines dans le Midwest, quelques maisons de brique ou de bois plantées au milieu de l'interminable prairie, autrement dit au milieu de nulle part. Sans le savoir, à Gilead, on a déjà croisé Lila, omniprésente quoique jamais nommée dans le premier roman de la trilogie, qui s'offrait à lire comme le testament spirituel ardent et confiant du pasteur John Ames, parvenu au soir de sa vie et s'adressant à son jeune fils. Lila est la mère de ce garçon, l'épouse du pasteur, et c'est au plus près de l'esprit, des pensées de cette femme que s'immisce cette fois Marilynne Robinson. Consacrant tout son art, infiniment patient et pénétrant, à retracer son histoire, à préciser les contours de sa personnalité, à fouiller et mettre au jour ses interrogations existentielles les plus profondes. Inscrivant pour cela le destin de Lila dans une sorte d'atemporalité – en fait, quelques discrets repères signalent que nous sommes au milieu du XXe siècle –, sans jamais toutefois basculer du registre incarné et palpitant du roman vers celui, édifiant et souvent marmoréen, de la parabole.

L'histoire de Lila est celle d'une enfant délaissée, grandissant dans l'Amérique de la grande dépression, un jour enlevée aux siens par une femme qui l'entraîne dans une existence nomade – et sans doute, par ce rapt, la sauve. Devenue une jeune femme, réservée, réticente, presque sauvage, la voici qui arrive à Gilead, et qui noue avec le bienveillant pasteur Ames une relation amoureuse et intellectuelle – qui débouchera sur un mariage, la naissance d'un enfant. Mais ce résumé lapidaire n'est que la morne mise à plat d'une existence que Marilynne Robinson ne dessine pas du tout de cette façon : c'est avec lenteur, douceur, une sensualité âpre, une acuité extrême dépourvue d'impudeur, et selon une logique savante qui se joue de la chronologie, que la romancière déplie, déploie et dévoile tout ensemble le destin et la vie intérieure de Lila – une vie secrète intense, exigeante, insatiable, hantée par le mystère de ses origines et fondée sur une solitude ultime qui est à la fois sa force et son désarroi, son aspiration et sa prison, son vertige et sa vérité irréductible.

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