« Ce jour d'avril 1961, on s'est assis au fond de la tranchée : c'était dans le désert, au nord de Tamanrasset. » Le soldat qui écrit ces mots est un cobaye, juste de la chair à atomes. Ce jeune ingénieur, qui a trébuché lors du défilé du 14 juillet 1960 sur les Champs-Elysées, a été invité à participer à « des expériences intéressantes dans le Sahara ». Un voyage vers le Sud, encore terre française pour quelque temps, et le voilà plongé dans le grand vertige du secret-défense. La suite est un rêve éveillé, pas encore un cauchemar, juste une traversée fantastique dans le soleil et le silence, le sable et les combinaisons, les bunkers et les portes en ciment. Le soldat ingénieur enfile des sas et des tunnels, voit des panneaux et entend des sirènes. Il est dans la tranchée avec ses hommes, qui ne savent pas, mais dont certains pressentent quelque chose d'inédit. Un capitaine dit : « Pas d'initiative. Et surtout, ne pensez à rien. »
Comment penser l'impensable, d'ailleurs ? Derrière les lunettes et la visière, c'est soudain l'horizon qui tremble, en fait « une image qui ne peut se rendre », un « flash gigantesque », une lumière aveuglante. Plutôt une lumière « après la lumière ». La suite sort des troubles moments où la conscience reprend le dessus : les hurlements d'une chèvre la chair à vif, un lapin « sanglé de métal » et, dans la déclinaison humaine, des blouses sans insigne, des douches de décontamination et du kaki sans parole. L'homme qui écrit cette « expérience », et qui a servi pour l'évaluation des « distances de sécurité », a les doigts qui saignent, se demande où est passée la chair qui lui manque et survit dans les mathématiques, le seul combustible de sa raison…
C'était à Reggane, au centre du Sahara algérien, le 25 avril 1961, dans le cadre de l'opération Gerboise verte, dernier essai atmosphérique, quelques jours après le putsch des généraux. Ce très beau texte de Christophe Bataille approche la lumière au plus près : celle de la bombe atomique et, plus sûrement, celle que perçoivent les hommes entre la vie et la mort. — Gilles Heuré
Ed. Grasset 86 p., 12 € En librairie le 15 janvier.
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