L’Europe barbare (1945-1950)

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L’Europe barbare (1945-1950)

Encore un livre sur la Seconde Guerre mondiale ? Plutôt un livre sur toutes les dévastations et les tueries qui se prolongent bien après l’arrêt officiel des combats, en 1945. Si cet ouvrage de Keith Lowe fut justement salué par la presse britannique, c’est aussi parce que, au-delà des chiffres recalculés et des interprétations frauduleuses contestées, il dresse le tableau impitoyable d’un continent européen traumatisé, détruit dans toutes ses fondations, qu’elles soient économiques, sociales ou mentales. Loin des mythes qui lou­èrent le redressement miraculeux de l’Europe et les unités nationales ressoudées au sortir de la guerre, Keith Lowe, utilisant d’innombrables sources — témoignages, rapports de toutes origines —, les croisant et les corrigeant, dépeint une Europe livrée à l’anarchie, traversée par toutes les formes de criminalité, privée d’institutions, livrée aux atrocités et moralement atteinte pour longtemps (1) .

Les chiffres ? Abstraits à force d’atteindre des proportions inimaginables, ils ne s’accumulent pas dans ce livre pour le simple plaisir de la statistique. Keith Lowe parvient à leur conférer une terrible densité humaine. En janvier 1946, le photographe américain John Vachon est abasourdi par le spectacle de Varsovie détruite à plus de 90 % : « Je n’arrive pas à comprendre comment on a pu en arriver là, écrit-il à sa femme. C’est trop brutal, je n’arrive pas à y croire. » Un article du New York Times en 1945 donnait le ton : « L’Europe se trouve dans un état qu’aucun Américain ne peut espérer comprendre. » Pas même ceux qui, pourtant aguerris, furent stupéfaits par les spectacles apocalyptiques : villes réduites à l’état de squelettes, villages anéantis, famine qui engendre la folie des corps décharnés. Au camp de transit de Wildflecken, fin 1945, les colis de la Croix-Rouge provoquent des émeutes ; à Naples, en Italie, ou à Heerlen, aux Pays-Bas, les soldats américains se voient offrir des filles de tout âge pour une tablette de chocolat, le corps devenant la monnaie naturelle pour se nourrir. Les viols ? ­Impossible de les comptabiliser, même si certains chiffres sont irréfutables, comme celui de deux millions, au moins, en Allemagne. Les troupes coloniales françaises en Bavière, les troupes soviétiques en Allemagne, les travailleurs libérés, les soldats perdus se déchaînèrent : « Le fait que ces viols continuèrent à se produire plusieurs années après la guerre, écrit Lowe, laisse entendre qu’ils n’étaient pas seulement motivés par le désir de vengeance… » Et de suggérer que le comportement des soldats de retour dans leur pays mériterait à lui seul une autre étude.

Quant aux tueries, certaines motivées par les vieux spectres du nettoyage ethnique ou de l’antisémitisme, elles n’épargnèrent aucune population : Grecs contre Bulgares, Serbes contre Croates, Polonais contre Ukrainiens ou Juifs, apatrides chassés de partout et poursuivis par une soif de sang qui se propagea dans tous les pays qui subirent la guerre. Prisonniers, déportés, combattants, civils : ce sont tous les peuples de 1945 à 1950 qui se déploient dans ce livre stupéfiant, essentiel pour réfuter toutes les instrumentalisations de l’histoire de cette période.

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