Lettres 1937-1943

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Lettres 1937-1943

Dans le visage de Van Gogh, Antonin Artaud (1896-1948) scrutait et reconnaissait le sien. « Il y a dans tout dément un génie incompris dont l'idée qui luisait dans sa tête fit peur, et qui n'a pu trouver que dans le délire une issue aux étranglements que lui avait préparés la vie », note-t-il dans l'incandescent Van Gogh, le suicidé de la société (1947). Et encore ceci : « Un aliéné est un homme que la société n'a pas voulu entendre et qu'elle a voulu empêcher d'émettre d'insupportables vérités. C'est ainsi qu'elle a inventé la psychiatrie, pour se défendre des investigations de certaines lucidités supérieures dont les facultés de divination la gênaient. » Les sentences posées par Artaud sur le cas Van Gogh pourraient faire office d'épilogue au présent volume qui rassemble les lettres – généralement demeurées inédites jusqu'à ce jour – que l'écrivain rédigea durant les cinq années qui précédèrent son internement à Rodez, en février 1943. Mais ce sont cinq ans d'internement, déjà, cinq ans de « pérégrinations asilaires », écrit le psychiatre André Gassiot dans la préface qu'il donne au recueil. On y suit en effet Artaud successivement enfermé à Sotteville-lès-Rouen, à Sainte-Anne, puis à Ville-Evrard, dans l'Est parisien. Et de partout, par le biais de missives folles, proprement démentes, lançant au monde un inlassable, stupéfiant, délirant, bouleversant appel.

« Mon épreuve doit prendre fin », écrit-il en décembre 1938 au peintre Yves Tanguy, son compagnon de route surréaliste. Aux médecins, à sa mère, à ses amis, il répète qu'il est persécuté, dénonce dans un même accès de colère les traitements brutaux dont il est l'objet – brutalité avérée, exacerbée par le dénuement matériel dans lequel furent laissés les établissements psychiatriques durant l'Occupation –, le complot qui le vise et veut le broyer. Au président Albert Lebrun, au cours de l'été 1939, il intime l'ordre de démissionner – « je noierai Paris dans le feu et le sang jusqu'à ce que cet ordre soit obéi… ». Tantôt il invective Gide, tantôt il supplie Jacqueline Breton ou Roger Blin de lui venir en aide. Assurément, les lettres sont d'un fou, mais la plume est foudroyante. Et c'est pour ce geste-là, ce trait fulgurant, qu'on lit avec passion, fascination, ces pages chaotiques, hautement insensées mais aussi magnétiques, hypnotiques – d'autant plus poignantes que l'on prend connaissance de ces lettres en sachant que nombre d'entre elles, retenues par l'administration psychiatrique, ne sont jamais parvenues à leurs destinataires.

Des profondeurs de discours délirant peuvent surgir de façon impromptue d'étonnants échos du réel historique tragique, dont Artaud, prisonnier de l'asile autant que de lui-même, semble pourtant si loin. Face auxquelles on repense à ces « certaines lucidités supérieures » qu'évoquait l'écrivain dans son texte sur Van Gogh. Ainsi écrit-il, en décembre 1940, à Rolland de Renéville, le poète du Grand Jeu : « J'ai sur moi des millions de démons dont le cercle se renouvelle à toute heure du jour et de la nuit […]. Vous savez qu'ils passent leurs nuits à mutiler et à tuer tous ceux qui veulent m'approcher pour me faire du bien […]. Vous savez, pour l'avoir vu à plusieurs reprises et ressenti, que le Mal est à son comble et que nous en sommes arrivés à un point crucial non pas de l'histoire de l'Europe ou du monde mais de l'histoire de l'Univers et que le Mal n'attend plus qu'une occasion pour se jeter sur Dieu et le dépecer définitivement… »

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