L’étoile du chien qui attend son repas

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L’étoile du chien qui attend son repas

C’est un roman aux voix multiples, celles de filles et de garçons dont l’adolescence fut volée, en Corée, au seuil des années 1960. L’occupation japonaise s’est achevée en 1945, la guerre de Corée s’est déroulée de 1950 à 1953, mais, dans cette paix fragile, tiraillée entre les stigmates des guerres et une accalmie civile et politique indécise, le jeune Chun ne voit aucun avenir possible. Fils de bourgeois déclassés, il vit avec sa mère dans un quartier pauvre de Séoul où les jeunes ouvrières portent des tenues kaki et où les chômeurs dorment dans des wagons. Les plaques de tôle et les barbelés de la base militaire américaine dessinent le décor, dont Chun ne peut s’évader qu’en lisant. Au lycée, où règne une discipline militaire — casquette et col montant, poches cousues pour éviter que les gamins y mettent les mains —, il est « le rêveur de la classe ».

S’il veut devenir écrivain, c’est en faisant l’école buissonnière. Ses journées de solitude l’ont convaincu de vivre autrement, comme il l’écrit à son professeur : « La sensation paisible que me procurait le vent en effleurant mes sourcils, la procession des nuages aux formes changeantes, les jeux de couleur, de densité, de lumière et d’ombre que créaient les rayons de soleil en se posant sur la surface des choses… ces sensations m’ont paru enrichir ma vie plus que les six heures de cours du matin et de l’après-midi où je suis assis dans ma classe. » Refusant d’intégrer le mode de vie « capitaliste » qu’encouragent les entreprises étrangères qui s’installent en Corée et promettent des plans de carrière, autant dire une vie aussi linéaire qu’une « grande avenue dans un quartier de gratte-ciel », Chun fugue dans les montagnes, vivant dans des grottes qu’abritent les monts Sôrak et discutant avec des compagnons d’escalade. Ceux-ci, comme lui, aspirent à « se barrer du troupeau ». La vie de leurs aînés qui, pour survivre, « avaient été condamnés à se faire tort mutuellement », est un modèle que fuient ces jeunes. Alors ils s’improvisent peintre, comme Mia, ou songent à l’université, à la condition de pouvoir payer leurs études. Dans ce beau roman où les parcours des filles et des garçons se croisent, l’écriture du grand romancier coréen Hwang Sok-yong s’attache à la nature, détaille la flore, décrit le désespoir des campagnes affamées et un décor urbain où le silence ne règne que la nuit.

Comme dans ses précédents romans, Monsieur Han, L’Ombre des armes ou La Route de Sampo (1) , Hwang Sok-yong (né en 1943) tire de son expérience personnelle les fils romanesques qui tissent l’histoire de la Corée. L’adolescence, telle qu’il la décrit, est une parenthèse désenchantée à laquelle seules la poésie et la peinture parviennent à donner quelques couleurs d’espoir. Mais l’histoire aura peut-être le dernier mot. Chun reçoit l’ordre d’intégrer l’Ecole spéciale pour le combat de jungle, et il partira avec le corps expéditionnaire coréen rattaché à l’armée américaine au Vietnam. Son avenir se résume à un choix assez bref : « mourir ou survivre ». — Gilles Heuré

 

(1) Un autre roman de Hwang Sok-yong, Toutes les choses de notre vie, vient de paraître aux excellentes éditions Philippe Picquier (traduit du coréen par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet, 192 p., 18,50 €).

 

Gaebapbaragibyeol, traduit du coréen par Jeong Eun-jin et Jacques Batilliot, éd. Serge Safran, 256 p., 19,90 €.

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